Swiss Ultracycling Challenge 2024
Pour l’édition 2024, le Swiss Ultracycling Challenge (SUCH) innove tout en restant fidèle à son concept d’origine : parcourir les 26 cantons suisses le plus rapidement possible. Cette année, l’eau est mise à l’honneur, avec un checkpoint obligatoire lié à une fontaine, cascade ou lac dans chaque canton. En parallèle, une touche historique a été ajoutée : les cantons sont regroupés selon leur date d’entrée dans la Confédération, formant ainsi huit groupes distincts.
La grande nouveauté de cette édition est l’introduction du "Canton Joker". Chaque participant peut choisir d’omettre un canton par groupe. Mais attention, franchir par erreur la frontière d’un canton oblige à se rendre à son checkpoint sous peine de disqualification. À chaque point de contrôle, il faut collecter une "goutte d’eau bénite", un clin d’œil aux magnifiques lacs et rivières de Suisse. Bien que chacun puisse tracer son propre itinéraire, l’arrivée reste la même pour tous : la Bundesplatz à Berne. Si vous souhaitez en savoir plus, les règles détaillées sont disponibles ici.
Cette nouvelle formule transforme la course en un véritable casse-tête, qui exige une planification rigoureuse pour traverser ou contourner les cantons stratégiquement. Marc et Vincent, les organisateurs, se surpassent encore une fois pour concocter un concept aussi ambitieux qu’original, rassemblant cette communauté de passionnés d’ultra-cyclisme suisse.
Pour ma part, 2024 marquera ma quatrième participation au SUCH. Après ma victoire de l’an dernier, j’avais initialement prévu de courir en duo avec Robin. Mais à quelques semaines du départ, nos plans ont changé, et me voilà de retour en solo pour tenter de défendre le titre de l’édition 2023. Dans tous les cas, une chouette aventure se profile !
La course avant la course
La semaine précédant la course a été un véritable enchaînement de galères, digne d’un scénario catastrophe. Après un week-end mémorable de bikepacking avec Fabien, tout juste couronné finisher de la Race Across France, j’ai découvert que mon vélo avait décidé de rendre l’âme. Avec le hauban droit fracturé, deux cadres cassés en un été, ça commence à faire beaucoup.
Le timing était catastrophique. Nous étions le 2 septembre et le départ de la SUCH était prévu le 11. Me voilà donc sans vélo, dans une situation digne d’un cauchemar. Mon fidèle Trek, encore endommagé depuis une chute en avril, n’était pas prêt à reprendre du service. Deux options s'offraient à moi : tenter un miracle en réparant mon cadre ou partir dans une chasse effrénée pour dénicher un nouveau vélo.
Avec un compte en banque déjà bien éprouvé par les dépenses de l’été, l’idée de racheter un vélo flambant neuf ne m’enchantait guère. J’ai donc lancé un SOS désespéré à mon réseau, espérant qu’un magicien du carbone puisse intervenir à temps.
Grâce à Gilles, j’ai été mis en contact avec un sauveur potentiel qui répare des cadres en carbone en parallèle de son activité principale. Dimanche soir, je le contacte sans trop y croire, mais, à ma grande surprise, il accepte de réparer mon cadre d’ici vendredi, à la condition que je lui livre le cadre démonté lundi soir. Cela me laisserait cinq jours pour tout remonter avant la course. Une lueur d’espoir !
Ce fut une course contre la montre pour démonter le vélo aussi vite que possible. Après 24 heures qui ont semblé une éternité, j’ai livré le cadre à ce sauveur lundi soir. Mon sort était entre ses mains. Mais la réparation n’était que la première étape de ce cirque. Il me restait encore à reconstruire tout le vélo pendant le week-end, une tâche particulièrement longue et ardue.
Les jours suivants ont été une épreuve constante : chercher pièces, outils, et tout le nécessaire pour remonter le vélo. Vendredi, j’ai récupéré le cadre, impressionné par une réparation plus belle que neuve. Commence alors une reconstruction frénétique : câbles, transmission, purge des freins, montage du boîtier de pédalier. Étrangement, ce processus m’a apporté une certaine sérénité. Il y a quelque chose de zen dans l’assemblage minutieux d’un vélo, même sous la pression d’une course imminente. Après deux jours intensifs dans ma cuisine transformée en atelier, propulsé par des litres de café, j’ai enfin réussi à monter un vélo fonctionnel dimanche matin. Il était en vie !
IL EST EN VIE !
Cette épreuve m’a coûté une semaine sans entraînement, ce qui, avant une course, revient un peu à se présenter à un marathon en tongs. J’étais également en retard sur le reste de la préparation : équipements, planification… Tout s’est soudainement accéléré. Heureusement, mon itinéraire était prêt.
Dimanche et lundi ont été une frénésie de préparatifs. Mais contre toute attente, tout s’est finalement mis en place. J’avais un vélo fonctionnel et dans quelques jours, j’allais pouvoir traverser la Suisse pour essayer de défendre mon titre. Mission accomplie. J’ai même eu le temps de me raser les jambes. Le sens des priorités…
Bien que la course semblait déjà avoir commencé après cette semaine folle, le départ officiel était prévu pour le mercredi à 10h10. Mon plan initial était de voyager le mardi et de dormir près de la ligne de départ, mais le boulot en a décidé autrement. Résultat : me voilà à la gare à 4h du matin le mercredi, me demandant une fois de plus comment j’ai atterri dans ce pétrin. Après cette semaine, je pensais être prêt à affronter n’importe quoi. Et en réalité, j’avais hâte de démarrer pour me débarrasser de tout ce stress. Prochaine étape : Gletsch.
Mon itinéraire
Cette année, la planification a été un véritable casse-tête. Après avoir tracé 316 points de passage sur la carte, j’ai enfin dégagé ce qui me semble être l’itinéraire optimal.
Mais pourquoi commencer à Gletsch ? Plus vous démarrez haut, moins vous aurez à grimper ensuite. Et pour moi, moins de dénivelé, c’est toujours une bonne nouvelle. Même si j’ai perdu quelques kilos, je grimpe encore les cols avec une lenteur très appliquée, presque artistique. Il y avait aussi un point de passage obligatoire au sommet du Grimselpass, ce qui faisait de Gletsch un choix naturel pour un départ stratégique. Avec ses 1700 m d’altitude, Gletsch cochait toutes les cases. D’ailleurs, il semblait évident qu’une bonne partie des participants opteront pour ce point de départ, histoire de ne pas se sentir comme le dernier à la fête.
Le véritable dilemme cette année était de choisir entre deux options pour atteindre le checkpoint du Tessin : Airolo ou le Passo del Lucomagno. Voici les deux scénarios possibles :
- L’option classique via Biasca : 75 km avec 1800 m de dénivelé sur une route aussi lisse qu’une table de billard.
- Le raccourci audacieux via le Lago Ritom : 22 km avec 1200 m de dénivelé, mais principalement sur du gravier et des sentiers de montagne, avec des portions où il faut littéralement porter le vélo.
Sur le papier, le raccourci avait de quoi séduire, mais il comportait un risque certain de se transformer en scénario catastrophe. Sur ces 22 km, seuls 7 se déroulent sur des routes asphaltées. Le reste ? Un joyeux mélange de chemins de gravier et de sentiers de randonnée, avec quelques passages où porter le vélo semblait obligatoire. Bref, du fun garanti… ou une bonne dose d’autodérision en perspective !
Pour trancher, j’ai décidé d’aller voir par moi-même et de tester l’itinéraire du Lago Ritom lors d’une petite aventure de bikepacking en Suisse quelques semaines avant la course. Mon verdict ? Un pari risqué, certes, mais qui pourrait bien payer. Reste à voir si tout cela tiendra ses promesses le jour J !
Sauf imprévu, ce choix d’itinéraire devrait me faire gagner environ 60 minutes. Mais c’est un choix à haut risque et haute récompense : 7 km de bitume, 7 km de gravier et 6 km de marche pour atteindre le Passo del Lucomagno. Heureusement, la marche est en grande partie descendante et parfois même roulable. Pour limiter les dégâts sur mes pieds (et économiser de précieuses minutes), j’ai prévu une vieille paire de chaussures, destinées à finir à la poubelle après cette épreuve. Je ne doute pas que d’autres participants tenteront également ce pari, ce qui promet une course intéressante.
Pour le reste du parcours, j’ai choisi quelques détours stratégiques afin d’économiser un peu de dénivelé ici et là. Hormis le coup de poker du Lago Ritom, le tracé reste classique et sans excès.
Prévisions météo
La météo s’annonçait capricieuse : un froid humide en perspective, avec une nette insistance sur le "humide". La pluie était prévue du mercredi soir jusqu'à une bonne partie de jeudi.
Cependant, tout n’était pas perdu : nous aurions un départ au sec, ce qui me donnait une chance raisonnable de franchir les trois grands cols — Grimsel, Nufenen et Lucomagno — avant que le ciel ne décide de s’effondrer. Mon plan était clair : atteindre Coire et les plaines avant que la session "aqua-bike" ne commence.
Pour m’adapter, j’ai monté des garde-boues sur mon vélo pour la toute première fois (les grands maux appellent les grands remèdes). L’idée de rester sec était illusoire, alors je me suis concentré sur le fait de rester au chaud, même trempé – une nuance importante. J’ai improvisé une "armure thermique" avec deux couvertures de survie découpées et glissées sous mes vêtements. Ajoutez un pantalon de pluie pour compléter l’équipement, et voilà une configuration visant à prévenir l’hypothermie. Parce qu’après tout, qu’est-ce qu’une course d’ultra-endurance sans un soupçon de chaos météorologique ?
Le plan
Cette année, je reste fidèle à ma stratégie de 2023 : une course en une seule traite, avec un objectif sous les 40 heures et des arrêts limités à un total de 90 minutes. Si jamais les choses dérapent, j’ai en réserve la carte des turbo-siestes de 10 à 15 minutes. Mais soyons honnêtes : avec une météo annoncée déplorable, s’arrêter pour 10-15 minutes n’est pas vraiment une option viable.
En général, par mauvais temps, il y a deux écoles : soit vous faites un long arrêt pour vous reposer et attendre une éclaircie (ce qui, soyons sérieux, est totalement exclu ici dans une optique de victoire), soit vous ne vous arrêtez tout simplement pas. La course n’est tout simplement pas assez longue pour qu’un réel arrêt s’avère bénéfique. Cette fois, il semble que la stratégie gagnante sera de braver les éléments.
Passer sous la barre des 40 heures devrait suffire pour décrocher la victoire. Ce timing me permettrait également d’éviter une deuxième nuit blanche – une aventure que je ne suis pas pressé de réitérer – et de franchir le Jura avant que le froid glacial de la nuit suivante ne s’installe.
Avec des températures nocturnes qui devraient flirter avec le 0 degré dans les montagnes jurassiennes, traîner n’est clairement pas au programme. Mon équipement, disons "léger" pour ces conditions, n’est pas franchement idéal pour une balade prolongée sous un clair de lune glacial. Une raison supplémentaire de viser une arrivée rapide… et de laisser le froid loin derrière.
Finalement, la stratégie reste donc on ne peut plus simple : pédaler, minimiser les arrêts, dormir à peine si vraiment nécessaire et franchir la ligne avant de geler, surtout.
Côté ravitaillement, j’ai planifié deux arrêts principaux dans des magasins Coop Pronto : le premier à Coire, mercredi soir aux alentours de 19 heures et le second à Lucerne, jeudi matin entre 8 et 9 heures. Si jamais le plan déraille, un troisième arrêt est envisageable au Locle.
Sur le plan nutritionnel, l’idée est de consommer 80 g de glucides par heure jusqu’à Coire, avant de réduire à 50 g par heure pour le reste du parcours. En chiffres, cela représente plus de 2200 g de glucides – ou près de 3 kg de bonbons. Une véritable stratégie Willy Wonka. Après tout, l’ultra-endurance, c’est autant une question de watts que de calories. Et sur ce dernier point, j’ai tendance à bien m’en sortir.
Comparaison 2023 vs Objectifs 2024
Voici un aperçu des ajustements entre ma performance de l’année dernière et mes ambitions pour cette édition :
Stratégie | 2023 | Objectif 2024 |
Distance | 970 km | 898 km |
Dénivelé | 9’400 m | 11’300 m |
Temps total | 39h48 | 39h |
Temps d'arrêt | 1h50 | 1h30 |
Temps en mouvement | 37h58 | 37h30 |
Vitesse moyenne | 25,5 km/h | 24 km/h |
Grand Départ
Quelques heures et deux trajets en train plus tard, me voilà à Gletsch. Entouré de visages familiers, l’excitation mêlée de nervosité est palpable dans l’air. Les discussions pré-course tournent inévitablement autour des prévisions météo, promettant une aventure froide et humide. Mais après la folle semaine que je venais de vivre, un peu de pluie semblait presque insignifiant.
Le trajet en bus postal d’Oberwald à Gletsch valait son pesant d’or : La Poste suisse n’avait clairement pas prévu de transporter 40 cyclistes et leurs vélos un mercredi matin. Un spectacle mémorable.
Avec environ une heure avant le grand départ, j’ai pris un moment pour profiter de l’atmosphère. Ce rassemblement annuel ressemble plus à une réunion de famille qu’à une compétition. Il y a quelque chose de particulier dans cette petite communauté, peut-être une certaine folie partagée... En observant les 80 participants ayant choisi Gletsch comme lieu de départ, je ne pouvais m’empêcher de sourire. Une aventure mémorable nous attendait, c’était certain.
A l’attaque des Montagnes
10 h 10, c’était le grand départ. En un instant, tout le stress accumulé des jours précédents s’est dissipé. Tout devenait maintenant plus simple, l’objectif étant clair: rallier Gletsch à Berne le plus rapidement possible.
Simple, oui, mais facile, non. La souffrance et l’inconfort allaient être bien réels. Pourtant, malgré cela, une certaine forme de simplicité se profilait à l’horizon. Une simplicité que notre quotidien, saturé de tâches et d’informations, nous fait parfois oublier – un contraste rafraîchissant avec la complexité de la vie quotidienne.
Il y a quelque chose de profondément apaisant à se lancer dans une telle aventure, où, pendant quelques jours, la vie devient étonnamment simple : avancer, manger et si nécessaire, dormir un peu. Rien de plus, rien de moins. La mission est claire et les distractions presque inexistantes. Chaque action et chaque geste se concentrent sur un seul et même objectif. C’est une forme de liberté pure, débarrassée des frictions habituelles de la vie.
Mais revenons à la réalité : je n’allais pas pulvériser des records de vitesse dès le début. Le programme du jour comportait un trio de cols solides : Grimselpass, Nufenenpass et Passo del Lucomagno. Comme vous vous en doutez, l'ascension et moi, ce n'est pas vraiment une histoire d'amour. Je savais que j’allais passer les premières heures à regarder les feux arrière des autres disparaître au loin. Mais c’est justement là que réside la beauté de l’ultra-cyclisme : il ne s’agit pas seulement d’être le meilleur grimpeur ou de pousser les watts les plus puissants. C’est un complexe mélange de facteurs. Un équilibre entre stratégie, endurance et adaptation qui offre à chacun une chance égale et une opportunité de faire valoir avec ses propres forces.
Le Grimselpass
La première montée était le Grimselpass avec ses 12 km à 5 % de pente — la plus facile des trois. Tandis que nous grimpions tous ensemble, on aurait dit une course au ralenti. Les cyclistes me dépassaient régulièrement, y compris Dominik Bokstaller et Marcel. Après environ 50 minutes d’effort, j’ai enfin atteint le sommet, franchissant le premier point de contrôle en 10e position environ.
Au sommet, le premier point de contrôle proposait une touche d’originalité : collecter une "goutte d’eau bénite" pour dessiner le canton correspondant sur notre carte de brevet. Un détail folklorique et plutôt singulier, mais je m’imaginais déjà, à 3 heures du matin, les doigts trempés et glacés, essayant tant bien que mal d’accomplir cette tâche nécessaire à terminer la course. Ces petites touches d’originalité, un peu décalées, sont justement ce qui confère à cet événement son caractère unique.
Après avoir complété ma carte, j’ai attaqué la descente, croisant les autres participants encore en pleine montée. La grimpette n’est pas vraiment mon domaine, mais la descente n’est pas ma spécialité non plus. Ayant commencé le cyclisme récemment et n’ayant jamais touché à un VTT, mes compétences en maniabilité ne font pas de jaloux. Heureusement, mon poids a un petit côté avantageux en descente — je suppose que c’est là l’un des rares atouts d’être un cycliste poids lourd.
Au bas de la descente, j’ai rattrapé Dominik et Thomas Schlatter à l’approche de la deuxième montée : le Nufenenpass. Avec ses 14 km à 8,5 % de pente moyenne, ce col se présentait bien plus difficile. Les consignes de mon coach Loïc étaient claires : maintenir environ 280 watts pendant les ascensions. J’ai poussé un peu plus pour ne pas perdre trop de temps, mais aussi parce que je me sentais plutôt bien. Malgré mes efforts, Dominik et Thomas ont vite pris de l’avance, me laissant seul avec mes réflexions. Après 1 heure et 20 minutes d’ascension, j’ai enfin atteint le sommet.
Liam Bromiley, un coureur et ingénieur au CERN, semblait littéralement voler ; il avait atteint le sommet du Nufenen près de 20 minutes avant moi. Ça aurait pu être pire, cependant ; j’étais toujours 8ème, et le premier vrai défi nous attendait à Airolo.
Le dilemne Tessinois
Comme précédemment mentionné, le point de contrôle du Tessin, près du sommet du Passo del Lucomagno, offrait deux options :
- Option A : la route classique via Biasca – 75 km avec 1800 m de dénivelé sur des routes asphaltées.
- Option B : un raccourci via le Lago Ritom – 22 km avec 1200 m de dénivelé, mais principalement sur des chemins de gravier et une section de randonnée de 5 km.
Ayant repéré le parcours quelques semaines auparavant, j’ai opté pour le raccourci, convaincu que cela me ferait gagner du temps. J'avais même prévu une paire de chaussures supplémentaires pour les portions à pied. En me lançant sur ce chemin, je me suis demandé combien d’autres coureurs prendraient ce risque. Finalement, la majorité des participants a tenté le raccourci, à l’exception de Liam, Sébastien Glauser et Marcel, qui ont préféré le détour plus long via Biasca.
Au pied de la montée, j’ai rejoint Nils et Thomas, laissant uniquement Dominik et Lorenz Inauen devant. Après un petit détour mesquin sur du gravier, j’ai pu rattraper Dominik. Nous avons continué la montée ensemble jusqu’à la section de randonnée, où nous avons rejoint Lorenz juste avant la portion à pied. J’ai changé de chaussures et nous voilà trois cyclistes portant nos vélos à travers les montagnes. Ce fut un chouette moment de camaraderie partagée, presque hors du temps. À mi-parcours, j’ai décidé d’accélérer le rythme, utilisant cette section que je connaissais bien pour essayer de prendre un petit avantage.
Après environ 1 km de montée à pied, nous avons attaqué 4 à 5 km de descente sur des sentiers. Une section que j'avais initialement prévu de faire à pied, mais que j'ai finalement choisie de rouler autant que possible. Un pari risqué. J'avais opté pour des pneus tubeless de 32 mm, confiant dans mon matériel, mais j'ai un peu trop poussé ma chance. Lorenz, plus expérimenté, m'a dépassé dans la descente. En tentant de le suivre, j'ai payé le prix de mon imprudence : un rocher tranchant a déchiré le flanc de mon pneu dans les derniers 20 mètres. Si proche, et pourtant si loin.
Je payais le prix de ma témérité et de mon excès de confiance. En quelques secondes, mon pneu s'est complètement dégonflé. La déchirure, longue de près de 2 cm, était trop grande pour être colmatée. Il allait falloir mettre une chambre à air. Tandis que je m’empressais d’entamer les réparations, Lorenz, dans un geste typique de sportivité propre à l’ultra-cyclisme, m’a proposé son aide et demandé si j’avais besoin de quoi que ce soit. J’ai décliné avec gratitude, étant suffisamment bien équipé pour réparer cette crevaison.
J'ai pris une dizaine de minutes pour installer soigneusement la chambre à air, déterminé à faire les choses correctement malgré le contretemps. Pendant ce temps, Dominik, plus sage et prudent, descendait la pente à pied. Quant à Liam, il était encore à environ une heure du col, ce qui prouvait que le raccourci était effectivement plus rapide, mais à quel prix ?
La prudence aurait dicté de trouver immédiatement un magasin pour remplacer ce pneu endommagé. Mais comme il semblait tenir, et parce que je voulais éviter de perdre encore quelques précieuses minutes, je me suis dit : « Ça devrait aller ». Ah, ces fameuses dernières paroles avant que tout se complique. Je le sais pourtant, et malgré cela, j’ai refait la même erreur, par simple souci d’économiser un peu de temps. Une erreur de débutant, vraiment. Je devrais être au-dessus de ça, non ?
C’est fascinant, presque absurde, de constater à quel point on peut prendre des décisions potentiellement désastreuses à long terme pour un gain immédiat. Ce biais en faveur du présent, cette incapacité à penser au-delà de l’instant, nous joue des tours encore et encore. Et pourtant, on tombe dans le piège à chaque fois.
Quoi qu’il en soit, j’ai descendu le Passo Lucomagno et poursuivi ma route vers Coire, tentant de rattraper Lorenz, qui avait maintenant 15 minutes d’avance. À ma grande surprise, je suis sorti des montagnes en deuxième position. Je pensais être entre la 5e et la 10e place, au moins 30 minutes derrière le leader. Malgré le contretemps, les choses allaient mieux qu’anticipé et j’avais même un peu d’avance sur mes prévisions. Grisé par ce succès inattendu, j'ai mis de côté mon problème de pneu et continué la course comme si de rien n'était. Mais les problèmes que l’on choisit d’ignorer aujourd’hui finissent presque toujours par nous rattraper demain et j’étais sur le point d’en recevoir un rappel aussi douloureux qu’inévitable…
La nuit… et la pluie
Je suis arrivé à Coire vers 18h, avec près d’une heure d’avance sur mon plan initial, pour mon premier ravitaillement. J’ai pris le temps de refaire le plein de nourriture pour la nuit et d’enfiler mes vêtements adaptés à la pluie et à l’obscurité. Le moment critique était proche : la météo allait se détériorer et la nuit tomber. Jusqu’ici, nous avions été relativement épargnés, mais le vrai défi était sur le point de commencer. Les prévisions annonçaient une pluie quasi continue tout au long de la nuit, avec des températures pouvant descendre jusqu’à 6 degrés.
Étonnamment, cette longue nuit froide et humide ne m’inquiétait pas vraiment. Était-ce dû aux dix jours de chaos qui avaient précédé la course, ou simplement le fruit de l’expérience que je commençais à acquérir dans ce type d’aventures ? Peut-être un peu des deux. Quoi qu’il en soit, je voyais cette épreuve comme une difficulté parmi d'autres — rien d’insurmontable. Certes, ce ne serait pas confortable, mais j’avais appris à relativiser : on ne peut pas contrôler les éléments extérieurs, mais on peut toujours contrôler la manière dont on les perçoit. Au final, dans ces situations, c’est l’esprit qui décide si l’on subit ou si l’on avance. La météo ne changerait pas, alors autant s’adapter et continuer.
Pour affronter ces conditions, j’avais prévu un pantalon en Gore-Tex et quelques couvertures de survie que j’avais soigneusement découpées en sections pour isoler différentes parties du corps. L’arrêt à Coire ayant pris plus de temps que prévu, mais je voulais partir préparé pour tenir jusqu’au matin sans devoir m’arrêter à nouveau. J’avais l’intuition que la plupart des concurrents s’arrêteraient pour une pause à un moment donné dans la nuit, et cela représentait une opportunité à saisir : endurer les éléments sans m’arrêter pouvait me permettre de creuser un écart significatif.
Chargé de barres énergétiques et d’une détermination encore intacte, j’ai quitté Coire, prêt à rattraper Lorenz et creuser l’écart pendant la nuit.
MétéoSuisse avait vu juste : la nuit a déversé une pluie torrentielle accompagnée d’un vent de face incessant, faisant du passage exposé le long du Rheindam, vers St. Margrethen, une véritable épreuve. Ce tronçon, gravé dans les mémoires des éditions passées de SUCH, est un interminable chemin rectiligne de 50 km longeant le Rhin. Il est chargé de souvenirs marquants : en 2022, j’y avais frôlé une collision avec une biche. Frôlé... du moins, c’est ce que je crois, mais vu mon état à ce moment-là, je ne peux pas en être certain. Ce dont je suis certain, c’est que la peur m’avait saisi si violemment que j’avais passé le reste de la nuit à chanter à tue-tête pour éloigner les bêtes. Ah, les joies des nuits en ultra-cyclisme… Cette fois, je priais pour échapper à ce genre de rencontre, surtout avec cette visibilité réduite à quelques mètres par l’averse et un vent qui semblait s’amuser à me projeter la pluie directement au visage.
Malgré ces conditions éprouvantes, ma progression restait solide. Peu après Coire, j’ai rattrapé Lorenz, qui s’était arrêté sous un pont pour enfiler des couches supplémentaires. Nous avons échangé quelques mots d’encouragement, un bref instant de camaraderie avant de replonger chacun dans notre combat solitaire contre les éléments. Une fois repassé en tête, un regain d’énergie m’a envahi : c’était le moment ou jamais de creuser l’écart.
Trempé jusqu’aux os, mais avec une détermination encore intacte, j’ai atteint St. Margrethen avant d’attaquer l’ascension vers Appenzell. Je m’accrochais à un état d’esprit positif malgré l’inconfort omniprésent. Mes vêtements dégoulinaient, mais jusque là, le froid ne m’atteignait pas : mes couvertures de survie faisaient des merveilles. Le tronçon Appenzell-Saint-Gall a été un véritable pic de difficulté dans cette nuit interminable, mais je pouvais sentir, presque physiquement, que mon avance se consolidait.
Conforté par mon choix d’itinéraire, je traversai Saint-Gall sans encombre, glissant à travers la ville avec une fluidité bienvenue. Je me dirigeai ensuite vers la Thurgovie et les rives du lac de Constance. La pluie, toujours présente, s'était légèrement atténuée, m’accordant enfin un répit bien mérité dans ce déluge nocturne. Une petite victoire en apparence, mais qui suffisait à raviver ma motivation. Motivation qui allait bientôt devenir essentielle…
Les ennuis, inévitables, surgirent au point de contrôle de Thurgovie, à Mannenbach. La pluie, plus forte que jamais, me prédisait que la nuit ne me ferait aucun autre cadeau. Mon pneu, déjà fragilisé au Passo Lucomagno, commençait à perdre de l’air, des signes inquiétants. La déchirure sur le flanc avait laissé la chambre à air exposée, et celle-ci finit par céder. Réparer une chambre à air sous cette pluie battante n’était guère une perspective enthousiasmante. Tout était trempé, et je doutais que la colle tienne le coup. Heureusement, j’avais prévu trois chambres à air de rechange, ce qui me laissait encore deux en réserve. La situation n’était pas encore critique, mais elle risquait de le devenir rapidement. Il allait bien falloir que je change de pneu. Une belle surprise. Je n'avais plus qu’à espérer que les chambres à air tiendraient jusqu’au matin, où je pourrais enfin trouver un magasin pour remplacer le pneu. J’aurais vraiment dû trouver une solution définitive sur-le-champ. Voilà un bel échec de jugement.
e me mis à l’œuvre, changeant la chambre à air et inspectant méticuleusement le pneu et la jante. Avec mes mains glacées et trempées, chaque seconde semblait une éternité. Après une quinzaine de minutes laborieuses, tout était enfin remonté. Soulagé, mais déjà un peu frustré par cette nouvelle perte de temps, je repris la route en espérant que cette réparation tiendrait bon pour le reste de la nuit.
Malgré ce contretemps, mon avance se consolidait. Voilà au moins une bonne nouvelle. La plupart des concurrents semblaient avoir fait une pause entre St. Margrethen et St. Gall, soit pour attendre que la pluie cesse, soit pour dormir. Liam, mon plus proche rival, accusait près de 1h45 de retard. Encouragé par cette situation, je poursuivis ma route jusqu’à l’inévitable retour des problèmes : à peine deux heures plus tard, une nouvelle crevaison dégonfla instantanément mon pneu. Il était environ 2h du matin, et la situation devenait critique. Avec une seule chambre à air de rechange, tout était désormais en jeu. Je me suis arrêté pendant 20 minutes pour effectuer la réparation, conscient qu’une nouvelle crevaison serait catastrophique.
Le sort se montra impitoyable : moins de 15 minutes plus tard, mon pneu était de nouveau dégonflé. La déchirure était trop grande, et mes trois chambres à air avaient cédé. Ayant opté pour des chambres TPU plutôt que du butyle, la réparation sous la pluie était devenue quasiment impossible. Désespéré, je me suis arrêté à une station-service à l’extérieur de Winterthur et j'ai tenté des réparations, mais rien ne tenait.
Note mentale : toujours emporter des chambres à air de rechange en butyle. Elles sont plus lourdes, certes, mais infiniment plus faciles à réparer.
Au bord du gouffre
Après près de 30 minutes de tentatives infructueuses, je me retrouvais à envisager l’impensable : l’abandon. J’avais même consulté les horaires des trains pour Lausanne, le premier partant dans une heure. Une petite voix dans ma tête m’a murmuré : "Abandonner, ce n’est pas si terrible, non ? Tu as déjà gagné cette course l’année dernière, tu n’as rien à prouver. De toute façon, tu ne peux pas continuer ainsi." Je n’arrivais pas à croire que j’en sois arrivé là, à envisager l’abandon après seulement 15 heures de course. Ce n’était pas moi — ou l’était-ce ? Je m’étais toujours vu comme un être inflexible, mais peut-être n’étais-je qu’un imposteur habile à se convaincre du contraire. La confusion et le doute faisaient rage dans mon esprit. L’ironie, c’est qu’en dépit de ces contretemps, j’avais encore plus d’une heure d’avance sur Liam et les autres. Et pourtant, me voilà, à sérieusement songer à jeter l’éponge.
Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais déconnecté de la course. Mon habituel inébranlable esprit de compétition semblait avoir disparu. À chaque course précédente, j’avais enduré l’enfer, poursuivant sans relâche l’objectif fixé. Mais aujourd’hui, alors que j’étais en tête, prêt à abandonner, un étrange décalage s’opérait. C’était comme si je découvrais une pièce cachée dans le manoir de mon esprit, un endroit que je pensais avoir scellé depuis longtemps. Vous savez, ce coin confortable où la part de nous qui préfère la voie de la moindre résistance aime s’attarder, comme un fauteuil douillet, un bol de chips à la main, devant la télé. J’avais cru avoir dompté cette part de moi, du moins dans le cadre de mes courses, l’enfermant derrière une porte fièrement étiquetée "Ne pas entrer – Course en cours." Jusqu’ici, je m’étais vanté de garder cette porte fermée à clé.
Mais là, elle était non seulement déverrouillée, mais grande ouverte. Et à ma grande surprise, je perdais pied, incapable de repousser l’appel de la facilité.
Mouillé jusqu’aux os, remettant en question tout ce que je pensais savoir sur moi-même, je réalisais que ce moment allait au-delà de la course. C’était une confrontation brutale avec mon identité — avec l’image que j’avais de moi-même, ce que je pensais être, ou ce que je voulais être. Était-ce réellement moi, ce cycliste d’ultra-endurance, toujours prêt à avancer et continuer ? Ou n’étais-ce qu’une image construite au fil du temps, pour satisfaire des attentes ?
À cet instant, je faisais face à une version de moi que je n’avais pas rencontrée depuis des années — et honnêtement, je n’aimais pas ce que je voyais. C’était un territoire inconnu, un abîme de doutes, et je me sentais comme un novice dérivant sans repères dans une tempête.
Au cœur de ce chaos intérieur, une petite voix brisa le bruit. Elle murmura : "Tu te détesteras si tu abandonnes maintenant." Étrangement, ce n’était ni l’espoir ni la détermination qui m’ont poussé à avancer — c’était la peur. La peur de me détester, de me juger sévèrement, d’affronter le poids de mon propre échec. Soyons clairs, ce n’est pas la motivation la plus saine, mais à ce moment-là, c’était suffisant. Et parfois, suffisant, c’est tout ce dont on a besoin pour continuer.
J’avais passé au moins 20 minutes à lutter contre mes démons intérieurs, espérant qu’un brin de volonté s’ancre enfin. Finalement, la décision se fit, mais la réalité restait sombre : les trois chambres à air étaient hors d’usage, et je n’avais ni les compétences, ni les conditions météo propices pour les réparer. La frustration était palpable, mais une nouvelle forme de pragmatisme émergea. Il me fallait une solution, et vite.
La réponse semblait évidente : il me faudrait rouler avec une chambre à air dégonflée. Je choisirais celle qui fuyait le moins, la remettrais dans le pneu et la regonflerais aussi souvent que nécessaire jusqu’à trouver un magasin de vélo ouvert. Ce n’était pas idéal, mais c’était mieux que de rester là à attendre — ou pire, à marcher.
Après un dernier test rapide, j’ai trouvé ma chambre à air MVP, celle qui résistait le mieux, qui se dégonflait le plus lentement. Je l’ai gonflée à fond et, à 4 heures du matin, après une heure et demie passée dans cette station-service misérable, j’ai enfin repris la route. Ma détermination, maintenant teintée de désespoir, me poussait à continuer.
Championnats du monde de la pompe à main
Mon avance sur Liam s’était réduite à seulement 30 à 45 minutes. Avec l’inévitable arrêt au magasin de vélos qui m’attendait, je savais qu’il allait probablement me dépasser bientôt. Bien qu’il ait opté pour la route la plus longue et la plus exigeante via Biasca — un détour qui lui avait sûrement coûté plus d’une heure — Liam avançait désormais bien plus vite que moi. Simon Flury et Lorenz Inauen suivaient en troisième et quatrième positions. Il semblait que tout le monde, sauf Liam, Simon et moi, avait fait une pause pendant la nuit.
De retour sur la route, un sentiment d'angoisse m'envahit lorsque je réalisai l’enfer dans lequel je m’étais lancé. À peine 15 minutes après avoir quitté Winterthur, ma jante effleurait déjà le sol. Un misérable quart d’heure — c’est tout ce que j’obtenais après 2 à 3 minutes de pompage manuel acharné. Je m’arrêtais, gonflais le pneu autant que mes bras fatigués me le permettaient, puis repartais, sachant que cette danse se répéterait probablement 4 à 5 fois par heure. La pluie s’était en grande partie calmée, une petite miséricorde. Mais la progression était atrocement lente. Le pompage à la pompe à main, ai-je découvert, est un sport à part entière — un sport auquel j’aurais volontiers renoncé à 5 h du matin après la nuit infernale que je venais d’endurer. Près de dix minutes chaque heure étaient sacrifiées à cet usant rituel, tout ça pour le privilège de rouler sur un pneu déterminé à s’écraser à nouveau sur le sol.
Ce cercle vicieux continua jusqu’à environ 6h30, quand j’arrivai à Pfäffikon, face au court mais punitif Etzelpass. Si une montée de 4,9 km avec une pente moyenne de 11 % semble déjà difficile, imaginez son tronçon de 2 à 3 km dépassant les 13 %. Je savais à quoi m’attendre, et c’était l’option la plus rapide pour rejoindre Schwyz. Je n’ai même pas envisagé l’idée de rouler sur les parties raides ; j’ai simplement sans hésitation commencé à marcher, ce qui, vu mon pneu arrière dégonflé, n’était probablement pas beaucoup plus lent que de rouler. Je ne sais pas — et ne tiens pas à savoir — combien de temps cette ascension a pris, mais je peux vous assurer que je n’ai pas décroché de KOM. Cette montée infernale me déposa finalement à Sihlsee, le point de contrôle de Schwyz, juste avant 8 h du matin.
À l’aube, ma quête désespérée pour trouver un magasin de vélos commença. La chance m’a souri grâce à un distributeur en ligne (https://www.cycling-parts.ch/) dont les bureaux, d’après Google Maps, étaient sur mon itinéraire, à seulement quelques kilomètres, et ouvraient à 8h. Ça valait le coup de tenter. J’ai sonné, et un homme est apparu. Il s’est avéré que ce n’était pas un magasin physique et qu’ils ne vendaient généralement pas sur place. Cependant, après avoir écouté mon récit, il a gentiment accepté de m’aider. Chic type.
Je l’ai suivi à l’étage, où nous avons exploré des piles de pièces détachées à la recherche de ce dont j’avais besoin. Je suis finalement reparti avec un pneu neuf (modeste, mais fonctionnel), quelques chambres à air et divers outils d’entretien. Là, dans le couloir, j’ai entrepris ce qui ressemblait désormais à une routine bien rodée : l’opération de remplacement du pneu.
Au bout d’environ 30 à 40 minutes, j’étais prêt à reprendre la route — épuisé, le corps meurtri, mais de nouveau en selle, prêt à affronter les kilomètres avec un pneu tout neuf.
SOS Discipline
D'une manière ou d'une autre, malgré tout cet interminable chaos, j'étais toujours en tête de la course. C’était presque dur à croire. J'avais à peine avalé 100 km en près de 8 heures, et pourtant, je menais encore. Mais cette situation était sur le point de changer. En quittant le magasin, Liam était sur mes talons. Son dépassement n’était qu’une question de temps, mais bon, la course était encore longue. Il a choisi un itinéraire plus judicieux au travers Zug et a pris la tête en direction de Lucerne. Le moment parfait pour commencer la chasse, non ?
On pourrait penser qu’après avoir traversé cette nuit infernale, je serais prêt à bondir, l’énergie ravivée, prêt à traquer Liam et à reprendre la tête de la course. Mais non. Quelque chose clochait. Ma concentration et ma discipline habituelles semblaient s’être évaporées. J’en ai eu la preuve lors de mon passage à une station-service : ce qui aurait dû être un arrêt éclair s'est transformé en une pause molle et nonchalante, et j'en suis reparti à peine équipé pour la journée. Désordonné, désorganisé — tellement à l’opposé de ce que je suis en général dans ces courses. Ce n’était pas ainsi que j’allais rattraper Liam, mais étrangement, je m’en fichais. L’urgence de le rattraper ? Disparue. Être derrière ? Bah, pourquoi pas. Qu’est-ce qui m’arrivait ?
Peut-être que je devais simplement digérer cette nuit cauchemardesque. Me donner du temps pour me ressaisir, me suis-je dit. Mais pendant ce temps, l’avance de Liam continuait de grandir. Lucerne n’a pas arrangé les choses : j’avais l’impression d’avoir accumulé tous les feux rouges de la ville. Note mentale : choisir un meilleur itinéraire à travers Lucerne et Zug pour la prochaine fois.
Mon plan méticuleusement élaboré ? À la poubelle. Alors que je comptais près d’une heure d’avance à Coire, je me retrouvais maintenant avec plus de quatre heures de retard. Oh, que la nuit avait été longue, et lente. L’avantage d’un bon plan, c’est qu’il simplifie tout : moins de réflexion et plus de pédalage, ce qui permet d’économiser beaucoup d’énergie et de ressources. Mais dans ces courses, les plans finissent toujours par dérailler. Le vrai défi, c’est de maintenir le train sur les rails le plus longtemps possible.
Dans mon cas, tout avait déjà déraillé avant même que 24 heures ne se soient écoulées — beaucoup trop tôt. Bon, il ne me restait plus qu’à improviser.
Après Lucerne, nous avons attaqué la montée emblématique de Seelisberg — une bonne nouvelle cette année : pas d’escaliers à escalader. Comme c’était un aller-retour, je savais que j’allais croiser Liamu pour la première fois depuis le départ. Et effectivement, alors que je descendais vers le point de contrôle, je l’ai vu remonter. Nous avons échangé quelques mots sur la nuit cauchemardesque que nous venions de vivre, au moins c’était un sentiment partagé. C’est ce que j’adore dans ces courses : malgré la compétition, on prend le temps de discuter, de partager un moment. Ces épreuves sont uniques, et les gens qu’on y rencontre, de vraies pépites.
Liam avait 15 minutes d’avance et semblait encore en pleine forme. Pas bon signe pour moi. Le rattraper allait être un joli défi, surtout au vu de mon manque flagrant de motivation. Après avoir dessiné mon canton au pittoresque point de contrôle de Seelisberg, j’ai repris la route en direction de Lucerne. En chemin, j’ai dépassé Lorenz, puis un peu plus tard Simon, qui n’étaient qu’à une vingtaine de minutes derrière moi.
À cause de mon arrêt chaotique plus tôt ce matin, j’allais devoir m’arrêter à nouveau à Lucerne pour me ravitailler. Erreur de débutant qui va encore me coûter un temps précieux. La traversée de Lucerne s’est, comme plus tôt dans la journée, faite à un rythme terriblement lent. J’ai encore perdu du temps dans un Coop Pronto, où je me suis... assis pour manger. Oui, assis — une première depuis longtemps en pleine course. Bonne idée ou non ? Je n’en sais rien. Mais ce qui est étrange, c’est que cela ne me dérangeait pas du tout, alors même que Liam n’avait que 15 minutes d’avance. Il y avait définitivement quelque chose qui clochait.
Cet arrêt prolongé, combiné à mon rythme inquiétant, a permis à Lorenz de me dépasser tandis que Liam portait son avance à 30 minutes. Me voilà relégué à la troisième position. Pour le reste de l’après-midi, j’ai suivi Lorenz alors que nous progressions lentement vers Bâle. Rien de transcendant, juste un train de sénateur. Tout indiquait que la nuit serait décisive.
De retour dans la course?
Malgré mon manque apparent de motivation, je restais confiant. J’étais persuadé qu’en poussant d’une traite jusqu’à Berne, avec seulement un ou deux très brefs arrêts, je pourrais encore remporter la course. Quelques heures plus tard, juste après Aarau, j’ai rattrapé Lorenz alors que nous attaquions une courte mais raide montée. Avoir de la compagnie tombait à pic. Cela a ravivé cet esprit de compétition qui m’avait quitté depuis la nuit précédente.
Lorenz, quel type. Une véritable machine. Ce gars pratique tous les sports imaginables et, en 2022, il a même décroché le titre de vice-champion du monde de duathlon. Le mot "monstre" ne suffit même pas à le décrire.
Et juste comme ça, nous étions de nouveau en course. Nous avons filé vers Bâle, jamais très loin l’un de l’autre. Cette fois, les dieux de la météo semblaient nous sourire : seulement quelques averses passagères, rien de comparable au déluge de la nuit précédente. Lorenz et moi suivions des itinéraires légèrement différents, mais nos chemins se croisaient régulièrement. Vers 19h, nous avons atteint Bâle et tourné nos regards vers notre prochain défi : le Jura, où tout allait se jouer. Malgré nos efforts renouvelés, l’avance de Liam restait imperturbable : toujours plus de 20 minutes. Allait-il finir par craquer ?
Alors que la nuit tombait près de Delémont, les choses ont pris une tournure pour le pire. En allumant ma lumière, j’ai été accueilli par... rien. Fantastique. Était-ce un remake de la Race Across France ? Les sombres souvenirs de cette nuit infernale dans les Pyrénées me sont revenus en plein visage. Ma lumière de secours vacillait, et mon phare principal ? Complètement mort. J’avais oublié de le charger, et il semblait avoir pris l’eau car la batterie ne réagissait pas. Sérieusement, combien d’erreurs pouvais-je accumuler dans une seule course ?
Avec une batterie limitée sur ma lumière de secours et un phare principal totalement inerte, je me préparais mentalement à une autre nuit éclairée par la lampe torche de mon iPhone. Cela n’allait pas être idéal pour parvenir à rattraper Liam… C’est pas croyable.
Alors que je jonglais maladroitement avec mes câbles en marmonnant des jurons, je me fais rattraper par Lorenz. Il s’était arrêté quelques kilomètres en arrière dans une station-service. Voyant que j’étais à nouveau en pleine galère, il s’est arrêté et m’a proposé de me prêter l’un de ses phares de rechange.
Nous étions toujours en lice pour la victoire, l’un contre l’autre, et pourtant, à ce stade de la course, il me tendait la main. Quel type. Grâce à sa lumière, j’allais pouvoir alterner entre ma lampe de secours et son phare, en chargeant l’une pendant que j’utilisais l’autre. Juste ce qu’il me fallait pour éviter une nouvelle nuit cauchemardesque.
Note mentale : régler ce problème d’éclairage une bonne fois pour toutes. Ça ne peut vraiment plus se reproduire.
Retour à la course. Lorenz a repris les devants pendant que je bricolais mon nouveau dispositif. Encore du temps perdu, mais la chasse était relancée.
La nuit était glaciale. À peine 22h, et le thermomètre flirtait déjà avec les 4 degrés. Un avant-goût glaçant de ce qui nous attendait dans la Vallée de la Brévine, surnommée à juste titre « La Sibérie Suisse ». Une perspective des plus réjouissantes…
Au loin, je distinguais le feu arrière clignotant de Lorenz, à quelques centaines de mètres devant. Quant à Liam ? Toujours loin devant, son avance aussi solide qu’un roc.
Reddition glaciale
Après Delémont, nous avons affronté une montée ardue avant de plonger vers le point de contrôle du Jura à St-Ursanne. C'est lors de cette descente que la réalité m'a frappé de plein fouet : une autre nuit infernale m'attendait. J'étais lamentablement mal préparé à ce froid. Dans mon plan soi-disant « brillant », j'avais prévu de traverser le Jura en fin d’après-midi et d’être quasiment à Berne à cette heure-ci. Quelle blague. J'étais complètement à côté de la plaque. Entre les caprices de Mère Nature, les soucis mécaniques et mes propres négligences, j’accusais facilement 6 heures de retard sur mon programme. Et comme j’étais persuadé d’éviter une traversée nocturne du Jura, je n’avais même pas pris de gants. Une combinaison parfaite de planification désastreuse et de décisions encore pires.
Au bas de la descente, je basculai en mode survie totale, m’emmitouflant dans toutes les couvertures de survie que j’avais. Grelottant sous des couches de papier d'aluminium brillant, j'étais sur le point de repartir en titubant lorsque Lorenz sortit d'un bâtiment voisin où il avait englouti un peu de soupe et de thé. Tentant, mais je ne voulais qu’une chose : bouger pour ne pas geler. Lorenz était prêt aussi, alors nous repartîmes ensemble.
C’est là que les choses ont pris une tournure étrange. Au lieu de nous motiver mutuellement pour rattraper Liam, nous nous sommes progressivement résignés à abandonner la victoire. Pas besoin de le dire à voix haute, c’était juste… implicite. Nous avons bavardé, pesté contre le froid, ralenti le rythme, pris des pauses au sommet des montées, descendu les côtes en roue libre. Génial pour la camaraderie, catastrophique pour faire la course. Notre rythme était aussi glacial que la nuit, et le temps continuait de filer.
En quittant St-Ursanne, rattraper Liam semblait encore possible, mais nous avions tacitement accepté de hisser le drapeau blanc et de prendre les choses tranquillement. Nous avons même plaisanté sur l’idée d’un café matinal, imaginant franchir la ligne d’arrivée ensemble. Le temps passait, mais pas les kilomètres. Liam disparaissait au loin, mes chances de victoire avec lui. Étrangement, ça ne me dérangeait pas tant que ça. Quelque chose clochait définitivement dans cette course.
Malgré la chaleur de la compagnie, la nuit était d’une froideur brutale, le thermomètre flirtant avec les 0 degré pendant plusieurs heures. Mes mains nues protestaient vivement, même si, à ce stade, je ne les sentais presque plus. Alors que nous approchions de La Chaux-de-Fonds, Lorenz commença à avoir des difficultés respiratoires. Son état s’est rapidement dégradé, sa respiration devenant laborieuse. Et avant que je ne puisse vraiment mesurer l’ampleur de la situation, il a lâché la bombe : il abandonnait. Un rapide appel à sa sœur basée à Berne pour organiser un ramassage à La Chaux-de-Fonds, et c’en était fini pour lui. Pas question de risquer sa santé. Une sage décision.
Nous avons parcouru ensemble le dernier tronçon jusqu’à La Chaux-de-Fonds, trouvant refuge dans un petit abribus. C’était son dernier arrêt ; il attendrait sa sœur ici. Quant à moi, je me préparais mentalement à une traversée solitaire de la glaciale Vallée de la Brévine, sans plus de course à gagner et privé de compagnie. Pas exactement une perspective réjouissante.
Dans un dernier acte de générosité, Lorenz m’a tendu ses gants, une veste, un peu de nourriture — tout ce qui pouvait m’être utile. J’étais profondément reconnaissant, même si une partie de moi regrettait que nous ne puissions pas franchir cette ligne d’arrivée ensemble. Après un échange de vœux, je repartis, seul, pour une dernière valse avec le froid..
Dernière ligne droite
Les couches supplémentaires ont tout changé. Malgré les deux heures d'avance de Liam et la course pour la victoire essentiellement terminée, j'ai soudainement ressenti un regain d'énergie. Ironique, non ? Maintenant qu'il n'y a plus rien à gagner, me voilà gonflé à bloc. Décidément, je n’y comprends plus rien.
La Brévine a bien mérité sa réputation de « Sibérie Suisse » — je frémis à l'idée de ce que j'aurais enduré sans les gants et la veste de Lorenz. À ce stade, la fatigue et le manque de sommeil commençaient à se faire sentir. Après 44 heures de course non-stop, malgré tous les arrêts (forcés ou non), je n'avais toujours pas fermé l'œil. Parmi tous les éléments négatifs, j'étais au moins satisfait de ma gestion sur ce point-là. Je suis resté lucide et maître de moi-même. Rien à voir avec cet épisode de la Race Across France où j'avais complètement perdu les pédales. Après La Brévine, seul Fribourg se dressait entre moi et la ligne d’arrivée à Berne. Plus que 90 kilomètres à parcourir. La fin était enfin en vue, et je me réjouissais d’en finir.
Lors de la dernière montée avant la longue descente du Jura vers Neuchâtel, Dame Nature nous a réservé une ultime surprise. Il s'est mis à neiger abondamment. Oui, de la neige. Enfin, quelque chose entre la pluie et la neige, mais quand même — de la neige ! C'était surréaliste, comme un dernier rappel de la nature pour nous montrer qui est vraiment aux commandes. Cette averse improvisée n’a duré que 15-20 minutes, mais c’était suffisant pour me tremper jusqu’aux os, rendant la descente vers Neuchâtel particulièrement inconfortable. J’ai atteint Neuchâtel vers 7h du matin et, la course étant effectivement terminée, je me suis offert un arrêt à la boulangerie pour un café et des viennoiseries. J’ai remarqué que Liam s'était attardé à Neuchâtel pendant plus d'une heure — il avait dû passer une nuit difficile lui aussi. Penser qu'il a traversé le Jura seul, dans ce froid mordant et à ce rythme… Respect. Quelle bête. Il n’avait plus qu’une heure d’avance maintenant, mais ça ne servait à rien de le poursuivre. C'était fini. Autant savourer mon café.
Les 65 derniers kilomètres auraient dû être une formalité, mais j’ai vite réalisé que j’allais devoir relever un dernier défi : une potentielle crise de batterie. Après 44 heures, mes batteries externes étaient épuisées et mes appareils électroniques m’abandonnaient. Téléphone ? Sur le point de rendre l’âme. Batteries externes ? Toutes vides. Et mon GPS Garmin ? À bout de souffle. Pas de jus, pas de navigation. Aussi simple que ça. À une époque de dépendance au GPS et à la technologie, j’étais sur le point de revenir au 19e siècle.
J’allais devoir naviguer de mémoire et à l’instinct. Certes, je connaissais l’itinéraire, mais après deux jours sans sommeil, même lacer mes chaussures semblait relever de la science spatiale. Comme prévu, mon téléphone a jeté l’éponge en premier, me coupant du monde. Peu après, mon Garmin a hissé le drapeau blanc. Me voilà, à 20 kilomètres de la ligne d’arrivée, roulant à l’aveugle.
La chance m’a souri cependant — j’approchais de Thörishaus et du dernier point de contrôle lorsque ma navigation m’a lâché. Je savais que ce point de contrôle était un pont. J’ai suivi un chemin de gravier le long de la Sense, jusqu’à ce que je me retrouve sous un immense pont de pierre. « Ça doit être ça », ai-je pensé, marquant rapidement ma carte de brevet avant de repartir vers Berne, impatient d’en finir enfin.
Liam avait déjà terminé presque une heure plus tôt — chapeau bas. Gagner malgré ce détour par Biasca et un itinéraire globalement moins optimisé ? Une performance impressionnante et une victoire méritée. Le dernier tronçon jusqu’à Berne était heureusement simple : une longue ligne droite de 10-15 km. Trente minutes plus tard, j’arrivais sur la Bundesplatz, accueilli par Clara, Marc, Vincent et Liam. Quelle aventure folle ça avait été.
Il faut reconnaître le mérite de Marc et Vincent — ils sont l'ingrédient secret qui rend cet événement vraiment spécial. Ces deux légendes accueillent personnellement chaque participant sur la Bundesplatz, ce qui signifie qu'ils passent environ deux jours d’affilée à jouer les comités d’accueil, jour et nuit. Ils apportent une ambiance tellement positive, ainsi qu’une touche très humaine et familiale à cette course. C’est vraiment touchant, et ça donne envie de revenir année après année.
La fin… ou pas!
Après 20 minutes de bavardage post-course, Clara et moi nous sommes dirigés vers une chambre d'hôtel que j'avais réservée pour la nuit précédente. Oui, vous avez bien lu — j'avais réservé une chambre pour la veille, persuadé d'arriver à temps pour savourer une bonne nuit de sommeil dans un vrai lit. Ah, l'optimisme du moi d'avant la course ! Il nous restait encore la chambre pour une heure, juste assez pour une douche bien méritée. J'ai retiré mes chaussures de vélo, soulageant mes pieds endoloris et meurtris, prêt à me traîner vers un confort tant attendu quand — coup de théâtre ! — Marc, l’organisateur de la SUCH, a surgi derrière nous.
"Quoi encore ?" ai-je pensé, m'attendant au pire. Il s'avère que j'avais raté le point de contrôle de Fribourg de quelques centaines de mètres. Mauvais pont — il y en avait un autre en bois, juste à côté. Mon GPS mort m’avait joué un dernier tour. Marc était tout désolé, mais inflexible : pour être considéré comme finisher, je devais retourner valider ce point de contrôle de Fribourg. Les règles sont les règles.
Rouge
= mon erreur et bleu
= la parcours 💀Bien que le point de contrôle ne fût qu'à 12 kilomètres, l'idée de remettre mes pieds dans ces chaussures et de remonter sur le vélo pour une heure supplémentaire était tout sauf attirante. D'autant plus que, dans mon esprit, la course était déjà terminée. Mais pas le choix, il fallait y retourner, ne serait-ce que pour honorer l'esprit de cet événement absolument génial. C'était le minimum que je puisse faire, ne serait-ce que par respect et gratitude envers Marc et Vincent, qui se dévouent corps et âme pour cette course. En me dépêchant, je pourrais même préserver ma deuxième place. Je me suis donc lancé à nouveau en direction de Thörishaus, toujours sans GPS ni téléphone, semant probablement la confusion chez les dot-watchers encore attentifs. Après tout, il ne pouvait quand même pas y avoir un troisième pont pour me jouer encore un tour, n'est-ce pas ?
Je suis revenu à Berne 45 minutes plus tard. Cette fois, c'était bien la ligne d'arrivée. Ma SUCH24 s'achevait enfin après 49 heures et 13 minutes interminables. J'avais parcouru environ 930 kilomètres et grimpé quelque 11 500 mètres — difficile d'être précis, mon Garmin ayant rendu l'âme depuis longtemps. En tout cas, c'est presque 10 heures de plus que mon objectif initial. Ouch…
Qu’est-ce qu’un dot watcher? Dans le cyclisme ultra, un dot watcher désigne une personne qui suit en temps réel la progression des coureurs lors de courses de longue distance, généralement via des systèmes de suivi en ligne.
J'ai finalement décroché la deuxième place, et je pense que c'est mérité. Liam était indiscutablement le juste vainqueur de cette course. Pourtant, je ressens un mélange de sentiments. D'un côté, j'ai l'impression d'avoir réalisé une performance décevante — marquée par de mauvaises décisions et un manque de discipline. De l'autre, malgré ces obstacles et une série de problèmes mécaniques, j'ai réussi à m'imposer à la deuxième place. Je suis également fier d'avoir tenu 50 heures sans sommeil — ma plus longue période d’éveil à ce jour. Je n'ai pas sombré dans un état de zombie cycliste et j'ai su rester lucide et maître de moi-même tout au long de la course.
Il est étrange de constater qu’à ce jour, une performance que je juge médiocre me permet tout de même de décrocher la deuxième place dans un événement comme la SUCH. Ce qui, je pense, est plutôt positif et un bon signe de progression. Pourtant, je ne peux m’empêcher de penser que j’aurais dû dépasser ces erreurs basiques que j’ai faites tout au long de la course. Avec l'expérience que je gagne progressivement, je devrais être en mesure de garder mon calme et de prendre de meilleures décisions lors d'une telle épreuve. Mais bon, chaque aventure est une leçon, et celle-ci n’a pas fait exception. Elle m’a enseigné énormément sur l’équipement, la stratégie, la prise de décision et mon approche générale de ces folles aventures. Plus important encore, elle m'a révélé des aspects de moi-même, ou du moins a soulevé des questions auxquelles je dois maintenant répondre.
La crise à Winterthur soulève des questions essentielles. Bien que je ne sois pas encore tout à fait certain de tout, il se pourrait que je doive revoir légèrement mon approche pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise. J'ai toujours été assez rigide, cherchant à planifier et à contrôler chaque aspect autant que possible. Mais si, parfois, je réprimais cette partie de moi qui a besoin de relâcher la pression et simplement... lâcher prise ? Peut-être devrais-je intégrer des moments de repos sans but précis, juste pour me permettre de respirer. Par exemple, planifier un arrêt de 10 minutes chaque jour, sans attente ni objectif, juste pour... exister. Cela pourrait potentiellement prévenir de futures crises comme celle de Winterthur. Je suis encore en réflexion, mais une chose est claire : je n’ai pas encore trouvé l’équilibre parfait entre contrôle et spontanéité. Il me reste encore beaucoup à apprendre, tant sur ce sport que sur moi-même. Mais n’est-ce pas là l’objectif pour l’année prochaine ? Une nouvelle série de courses, une nouvelle chance d’explorer et de comprendre. Ou du moins, d’essayer. Après tout, n’est-ce pas ce qui nous pousse à revenir encore et encore pour en redemander ?
SUCH24 | Plan | Réalité |
Distance | 898km | 926km |
Dénivelé positif | 11'300m | 11'500m |
Temps total de course | 39h | 48h21 |
Temps total d'arrêt | 1h30 | 6h21 |
Temps total en mouvement | 37h30 | 42h |
Vitesse moyenne en mouvement | 24km/h | 21,6km/h |
De retour à Berne, la douche tant attendue dans ma chambre d’hôtel ne faisait plus sens. Mais Marc et Vincent, fidèles à eux-mêmes, m’ont tendu la carte de leur chambre d’hôtel. « Vas-y, prends une douche », m’ont-ils dit. Un geste salvateur. Cette douche fut un pur bonheur — le point final parfait à cette édition hivernale du SUCH, aussi éprouvante qu’inoubliable.
Après la douche, Clara et moi sommes allés au restaurant. Avec du recul, ce n’était peut-être pas ma meilleure idée. Je m’endormais en pleine conversation, l’esprit complètement embrumé. Parlez-moi d’un rendez-vous romantique… Le sommeil m’appelait à grands cris. Nous avons pris le train, où je me suis immédiatement assoupi avant de tituber de la gare jusqu’à chez moi, où je me suis effondré dans un sommeil proche du coma.
Les jours qui suivent une telle course sont consacrés à deux choses : manger et dormir. Et je parle bien de manger et dormir sérieusement. J'ai dû dormir au moins 14 ou 15 heures entre vendredi et samedi. Puis, j’ai passé le reste de la journée à me gaver. Tout ce dont j'avais envie, je l’ai englouti. C’est comme essayer de remplir un puits sans fond — on ne peut jamais trop manger. Votre corps réclame du carburant à en perdre haleine, et qui suis-je pour lui refuser quoi que ce soit ?
Le meilleur brunch du monde
La tradition du SUCH ne serait pas complète sans son légendaire brunch des finishers sur la Bundesplatz de Berne. Chaque année, le dimanche, Marc et Vincent mettent les petits plats dans les grands pour ce festin. Ce n'est pas seulement une question de nourriture (même si, soyons honnêtes, elle est délicieuse) — c'est une véritable célébration de cette petite famille de la SUCH. Un groupe de fous en manque de sommeil, légèrement délirants, échangeant des récits épiques autour d'un café et de viennoiseries. C'est un peu comme une réunion d'amis perdus de vue, qui ont traversé l'enfer ensemble. Et bien sûr, il ne faut pas oublier la balade caritative autour de Berne, avec un arrêt glace en prime. Parce qu'apparemment, on n'en a pas encore eu assez de nos vélos.
Pendant que nous savourons ce brunch divin, les derniers guerriers et guerrières de la course arrivent encore. Et croyez-moi, l'accueil qu'ils reçoivent, chaleureux et sincère, réchauffe le cœur. Pas de cérémonie pompeuse de remise des prix ici — et c'est précisément ce qui la rend parfaite. Le seul trophée à décrocher est le prix de la Marmotte, décerné au cycliste qui, à un moment donné, a eu la brillante idée de : “Tiens, et si je prenais la route panoramique ?”. Et par panoramique, entendez surtout brutale. Ce prix célèbre avant tout l'itinéraire le plus audacieux et le plus fou.
Vous vous rappelez de mes plaintes sur la météo ? Eh bien, il s'avère que j'ai eu sacrément de la chance. Tandis que nous franchissions les hauts cols avant que Dame Nature ne perde les pédales, certains malheureux se sont retrouvés à affronter de vraies tempêtes de neige dans les cols. Samuel Fresard, lauréat du prix de la Marmotte, a décroché le gros lot — des murs de neige en plein septembre. En septembre ! Vous vous rendez compte ? Je n’ose même pas imaginer l’enfer que ça a dû être… Regardez un peu ces photos.
Franchement, je n'ai vraiment pas de quoi me plaindre.
Vers une nouvelle année
Le SUCH a marqué la fin de ma saison, une saison où, malgré le sentiment d’avoir progressé comme je l’espérais, je n’ai pas tout à fait atteint mes objectifs. Un abandon à la Race Across France et une deuxième place à la SUCH n’étaient pas exactement ce que j’avais en tête. Mais une chose est sûre : cette saison a été incroyablement instructive. Je vais emporter ces leçons avec moi, prendre le temps de les digérer et revenir l’été prochain pour un autre tour de manège. Les plans pour l’année prochaine sont déjà en place, et ça s’annonce comme ma plus grande saison à ce jour. Je vais relever le défi de la Race Across France et de la Transcontinental Race — deux des courses les plus prestigieuses du calendrier ultra-cycliste. J’ai hâte de voir ce qui m’attend !
Voici un aperçu plus précis de mon calendrier pour l’année prochaine :
Race Name | Date | Distance |
---|---|---|
May 2, 2025 | After some change of plans, my 2025 will start in sunny Valencia. GRAVAL Road is a 600km road event with 11,000m+ distance that crosses the Mediterranean forests and mountains of Teruel. | |
June 11, 2025 | After the lessons of 2023 and the heartbreak of 2024, I have no choice but to give this one another shot. Third time’s the charm, right? | |
July 27, 2025 | This is it—the big one. The ultimate self-supported race across Europe and arguably the world’s top ultra-endurance challenge. Time to give it a shot! | |
September 3, 2025 | Some things never change. It’s hard to imagine ending the season without the SUCH. This will be my fifth time—and definitely not the last! |
Merci
Enfin, je tiens à vous exprimer ma profonde gratitude pour vos encouragements et vos messages tout au long de cette aventure. Votre soutien indéfectible, de jour comme de nuit, m'a vraiment touché. Un immense merci du fond du cœur !
Bisous,
Jonas