Race across France 2025
Et c'est reparti ! Me voilà pour la troisième année consécutive sur la ligne de départ de la Race Across France (RAF), cette folle aventure cycliste de 2600km à travers la France. Créée en 2018 par Arnaud Manzanini, cette course est devenue un monument de l'ultra-endurance qui ne cesse de prendre de l'ampleur. Cette année, on est plus de 250 participants à se lancer sur les 2500km du parcours - du jamais vu pour l'événement.
J'ai découvert la RAF en 2023. On partait du Touquet pour rejoindre Mandelieu-la-Napoule : 2480 km avec 40 000 m de dénivelé positif. J'étais un vrai bleu dans l'ultra-distance, avec juste deux ans de vélo et quelques courses de 1000 km au compteur. Je plongeais dans l'inconnu total. Mon objectif ? Boucler le truc en moins de 7 jours, cette fameuse barrière qui sépare les performeurs des aventuriers, et qui vous place généralement dans le top 20.
Cette première RAF m'a fait découvrir un univers complètement dingue. Les 1000 km, c'est presque un sprint à côté ! Le 2500 km, c'est une autre dimension, un jeu d'échecs sur deux roues. Faut trouver ton rythme, économiser chaque gramme d'énergie, éviter les conneries. Malgré pas mal d'erreurs de débutant, j'ai quand même réussi à finir 12ème en 6 jours, 22 heures et 40 minutes. Objectif atteint, mais je savais déjà que je voulais revenir pour faire mieux.
Cette première expérience ultra XL m'a fait réaliser que j'avais peut-être un truc pour ces distances de malade. Je me suis dit qu'avec une préparation sérieuse, je pourrais viser plus haut, beaucoup plus haut. En novembre 2023, j'ai pris les choses en main : Loïc Lepoutre comme coach et Mattia Piffaretti comme psy du sport. Objectif 2024 : la gagne, rien de moins.
Malgré une année de préparation à fond, avec une victoire sur la Race Across Paris (300 km) et une 3ème place sur la Race Across Belgium (500 km), mon rêve s'est fracassé en 2024. Parti comme une balle, plombé par des problèmes mécaniques à répétition, j'ai bataillé contre Lucas Becker, le futur vainqueur, jusqu'au kilomètre 2000... avant de m'effondrer complètement. Cette défaite m'a fait mal, très mal, mais elle m'a aussi ouvert les yeux sur tout ce que je devais améliorer : le matos, ma condition physique, ma stratégie, mon sommeil... Et me voilà de retour en 2025, la rage au ventre. Avant de vous raconter cette nouvelle tentative, laissez-moi vous emmener dans les coulisses de ma préparation.
Petite mise en garde, et je m'en excuse d'avance, mais ce récit est assez long et détaillé. Si tout ce qui concerne la préparation (je comprends) ne vous intéresse pas, vous pouvez accéder directement à la partie qui traite de la course ici:
Le récit de la course • Statistique et performance
Ma Saison 2025
La préparation a débuté en octobre avec l'objectif de maximiser ma forme avant la saison FWT pour limiter les pertes hivernales. L'hiver s'est révélé contrasté : malgré quelques virus et passages à vide en novembre, décembre m'a permis de réaliser de bonnes sessions d'intensité, même avec un volume limité. Un test d'effort de trois minutes à 518 watts — soit 40 watts de plus qu'en 2024 — réalisé juste avant la tournée FWT m'a confirmé que j'étais sur la bonne voie.
La saison FWT a naturellement perturbé la préparation. Entre Baqueira, Val Thorens et un retour malade, j'ai perdu plusieurs semaines. Heureusement, la Géorgie m'a offert une belle opportunité : dix jours consécutifs de ski de randonnée ont permis une excellente reprise. C'est d'ailleurs là que l'opportunité Scoreplay s'est présentée.
En dépit de deux compétitions FWT supplémentaires en mars, j'ai maintenu plus de 60 heures d'entraînement, incluant plusieurs sorties longues de qualité. Un contrôle plus strict de l'alimentation m'a évité la prise de poids hivernale habituelle. Résultat : 93 kg ce printemps contre plus de 100 l'an dernier. Cette perte de 7 kg, associée à une puissance accrue, se traduit par de meilleures sensations générales.
Avril a été mon mois d'entraînement le plus productif, avec près de 70 heures de vélo et des progrès encourageants. Mais en ultra-endurance, la forme pure ne suffit pas. Les courses sont essentielles pour travailler les compétences fondamentales : gestion de la fatigue et du temps, stabilité émotionnelle, organisation, réactivité aux imprévus, nutrition et hydratation. Cette année, une seule course de préparation était au programme : la GRAVAL Road le 2 mai — 600 km et 11 000 m de dénivelé positif autour de Valence. Cette petite course méconnue m'a permis de rester en dehors de la bulle Race Across et de préparer discrètement. La course s'est bien déroulée : j'ai maintenu des puissances records sur les 15 premières heures avant de m'effondrer pendant la nuit. J'ai néanmoins gagné confortablement avec plus d'une heure et 30 minutes d'avance, en 25 heures et 40 minutes. Mes progrès en montée sont évidents, avec une vitesse moyenne de presque 25 km/h malgré le parcours difficile. C'est encourageant : je tiens une puissance normalisée de près de 270 watts sur les 15 premières heures, ce qui est remarquable. Par rapport à l'année précédente, outre quelques kilos en moins, j'ai gagné presque 20 watts — un progrès significatif. Je rentre d'Espagne très satisfait, à un mois de la RAF.
La fin de préparation s'annonce plus délicate car je commence un nouveau poste le 12 mai chez Scoreplay comme Customer Success Manager. C'est une belle opportunité professionnelle dont je me réjouis, mais le timing est délicat avec la RAF qui approche. Cependant, il n'y a pas que le vélo dans la vie, et je ne vais pas sacrifier ma carrière professionnelle pour autant. Dès le 14 mai, je suis envoyé à Paris pour Roland Garros, un de nos clients. Je resterai à Paris jusqu'au 5 juin — plus de 3 semaines couvrant toute la dernière partie de ma préparation.
Jongler entre un nouveau poste, un déplacement et la dernière ligne droite de la RAF s'annonce complexe. Des compromis seront inévitables. J'emporte mon vélo à Paris, incertain du temps disponible pour l'entraînement. La réalité s'avère vite compliquée : malgré l'intérêt du projet, les journées sont longues, le sommeil perturbé et le temps d'entraînement rare. Je peine à dépasser 10 heures d'entraînement hebdomadaire — c'est peu, mais suffisant pour maintenir la forme. Les progrès sont désormais impossibles avant la RAF, mais ce n'est pas grave : la forme est là, l'essentiel est de la préserver et de garder de l'énergie.
À Paris, je découvre l'anneau de Longchamp : une boucle de 3,6 km réservée aux cyclistes autour de l'hippodrome de Longchamp, au bois de Boulogne. Logé à proximité à Saint-Cloud, j'y accède facilement. C'est efficace car totalement plat — deux heures de vélo équivalent à deux heures de pédalage effectif. Pratique mais terriblement monotone ! En trois semaines, j'y effectue toutes mes sorties sauf une. Ces centaines de tours m'ont presque rendu fou, une lassitude sans pareille — la corniche me manque cruellement !
Je croise plusieurs fois Alexandre Bizeul, un des favoris de la RAF (3ème en 2024) qui habite Paris et s'entraîne beaucoup à Longchamp. Après trois semaines intensives et seulement 30 heures de vélo, je rentre enfin à Lausanne avant le départ pour Dinan. Je suis content du début de ce nouveau chapitre professionnel et j'ai le sentiment d'avoir bien commencé les choses. C'était une belle opportunité de pouvoir être sur place et rencontrer d'autres membres de l'équipe. Ça, c'est fait ! Maintenant, place à la RAF!
J'arrive chez moi le 5 juin au soir, enchaînant avec un sprint de préparation : affaires, vélo, dropbags et autres équipements. Samedi matin (7 juin), je prends le train pour retrouver les copains à Dijon, avant de rejoindre tous ensemble le départ à Dinan le lendemain.
Grand reset matériel
J'en ai déjà parlé à l'occasion de la GRAVAL Road, mais l'autre gros changement en 2025 : le vélo.
L'année 2024 a été particulièrement rude côté matériel. Deux cadres carbone cassés, plusieurs composants défaillants... Résultat : une saison sérieusement compromise, des courses manquées et un budget explosé. Mais au-delà de l'équipement, c'est aussi ma confiance qui en a pris un coup.
Il devenait urgent de revoir mon approche.
Choisir son équipement, c'est toujours chercher l'équilibre entre poids, performance, aérodynamisme, fiabilité et praticité. Jusqu'ici, j'avais clairement trop misé sur le combo légèreté/performance — un choix risqué quand on pèse plus de 90 kg.
Évidemment, un montage ultra-léger ne casse pas systématiquement. Mais il augmente nettement les probabilités d'une défaillance... et ça, je l'ai appris à mes dépens.
En faisant le bilan, la conclusion était claire : il fallait basculer vers quelque chose de plus solide. J'ai donc décidé d'accepter un peu plus de poids et un peu moins de pure performance, en échange de fiabilité, de simplicité et, surtout, de sérénité.
Après plusieurs mois de réflexion, j'ai opté pour un cadre en acier.
J'ai bien envisagé le titane, mais il était difficile de trouver la bonne combinaison entre géométrie, prix et disponibilité. Ce que je recherchais : une géométrie proche de mon ancien vélo de route, mais avec suffisamment de dégagement pour des pneus d'au moins 35 mm — indispensable pour les portions gravel de la TCR.
Mon choix final : le Standert Pfadfinder. Un cadre acier polyvalent, compatible avec des pneus jusqu'à 38 mm, et avec une position très proche de mon ancien montage route.
Le reste du montage suit la même philosophie : fiabilité, simplicité et cohérence avec mon gabarit et les exigences de l'ultra-endurance.
- Un cadre acier avec une géométrie d'endurance, qui peut accueillir des pneus jusqu'à 38 mm et un boîtier Chris King T47
- Une transmission 1x pour alléger le système, supprimer le dérailleur avant et réduire les risques de pépin mécanique
- Des roues larges et aéro : 25 mm de largeur interne (idéal pour des pneus de 30-34 mm), 50 mm de profil, montées avec un moyeu dynamo SON Delux à l'avant pour l'éclairage
- Un cockpit intégré, propre et fonctionnel
- Un braquet polyvalent : plateau de 46 dents couplé à une cassette 11–46, pour pouvoir grimper chargé sans exploser
- Un système d'éclairage dynamo avec option de recharge USB embarquée
- Objectif poids : moins de 9 kg, contre 7,6 kg pour mon setup de l'an dernier. Un petit surpoids assumé pour une grande tranquillité d'esprit
Le parcours de la RAF 2025
Cette année, la Race Across France traverse la France sur 2607 km depuis Dinan en Bretagne jusqu'à Mandelieu sur la Côte d'Azur. Le parcours est un véritable voyage à travers la diversité des paysages français, traversant 11 parcs naturels et offrant une immersion dans les territoires ruraux et montagneux de l'Hexagone.
L'aventure commence en Bretagne avec un départ du centre historique de Dinan, puis longe la côte bretonne avec le magnifique Cap Fréhel avant de grimper dans les Monts d'Arrée. Le parcours descend ensuite vers la Mayenne, puis continue jusqu'à Montastruc près de Toulouse, avant d'affronter le Massif Central via les Monts du Cantal et du Cézallier. Après l'Ardèche, nous entrerons dans les Alpes de Haute-Provence pour gravir la Montagne de Lure, avant d'atteindre le point culminant de cette édition : la Cime de la Bonette à 2802m d'altitude. De là, il ne restera plus qu'à redescendre vers Mandelieu pour franchir la ligne d'arrivée.
Avec environ 32000-34000m de dénivelé positif, principalement sur des routes secondaires, ce parcours exige une préparation minutieuse : navigation précise, stratégie de ravitaillement dans les zones isolées, et adaptation aux variations climatiques importantes entre plaines et hauts cols. Cette édition promet d'être aussi belle qu'exigeante, offrant aux participants la chance de découvrir des joyaux emblématiques et méconnus du territoire français.
Petit rappel sur le fonctionnement de la RAF : il s'agit d'une épreuve en semi-autonomie. Concrètement, nous sommes en totale autonomie sur le parcours, mais pouvons bénéficier d'assistance aux bases de vie (checkpoints). Le parcours compte 5 checkpoints stratégiques :
- Quelaisnes-Saint-Gault (km 550)
- Montastruc-la-Conseillère (km 1320) - Dropbag 1
- Clermont-Ferrand (km 1705)
- Digne-les-Bains (km 2203) - Dropbag 2
- Jausiers (km 2365)
Sur deux de ces bases de vie, nous disposons d'un "dropbag" (sac de délestage) contenant vêtements, nourriture, pièces de rechange ou tout autre équipement nécessaire. Ces points stratégiques permettent d'organiser sa course de manière intelligente. Attention toutefois : les bases de vie sont de véritables pièges à temps ! Entre la nourriture abondante, les bénévoles accueillants et le confort relatif, on peut facilement y perdre de précieuses minutes. L'art est de trouver le juste équilibre.
Si le détail du parcours vous intéresse, vous trouverez toutes les infos ici.
Comme l'an passé, ma préparation tactique commence par l'analyse minutieuse du parcours. J'identifie tous les points d'intérêt (commerces, hôtels, points d'eau) le long du tracé, puis sélectionne ceux qui serviront à construire mon plan détaillé, que vous découvrirez plus bas.
Stratégie et gestion du sommeil
Avant de plonger dans l'aventure de la RAF25, un petit point stratégie et gestion du sommeil, car ici aussi, j'ai presque tout revu depuis 2024. En 2024, je jouais encore avec des nuits courtes, des nuits plus longues, parfois je me couchais tôt, parfois tard... bref, je gérais ça un peu comme si toute heure de sommeil était égale et je me disais quand même un peu que chaque heure passée à dormir était une heure de perdue. Il faut dire qu'à l'ancienne, en ultra, c'est un peu le message véhiculé : les premiers grands champions de l'ultra étaient notamment des champions de privation de sommeil.
Heureusement, ceci est en train de changer avec des jeunes qui cassent les codes. Parmi eux, en fer de lance, il y a notamment Lucas Becker, le vainqueur de la RAF en 2024. Lucas est un énorme exemple de bonne gestion du sommeil. Parmi les 20 premiers de la RAF en 2024, il est celui qui a le plus dormi ! Dur à croire, n'est-ce pas ? Et pourtant c'est assez logique : Lucas ne roule pas en somnolant, il est toujours frais. Quand il est fatigué, il dort, c'est aussi simple que ça.
Le résultat ? Entre 3-4h de sommeil toutes les nuits. Et bien qu'il roule 2h de moins que les autres par jour, il est tellement plus frais et va tellement plus vite qu'il couvre plus de kilomètres par jour. Être plus frais et lucide a d'autres avantages : meilleure humeur, meilleur moral, meilleure gestion des problèmes, meilleure prise de décision... bref, c'est plus simple de prendre du plaisir quand on n'est pas un zombie.
Si Lucas a bien montré une chose, c'est que dormir intelligemment est la clé - c'est là le centre de la performance sur ces courses longues. Ceci est confirmé par Rémi Hurdiel, spécialiste du sommeil qui mène des études sur la RAF et qui prélève énormément de données auprès de nombreux coureurs.
Pour cette RAF, je décide donc des principes suivants :
- Dormir toujours au moins 3h (à part la première nuit de course puisqu'on part le soir, et éventuellement la dernière nuit selon la tournure que prennent les choses)
- Essayer de me coucher toujours à la même heure pour accompagner mon horloge biologique (pour moi, d'expérience, entre 00h et 2h du matin au plus tard)
- Dormir si possible à l'hôtel pour maximiser la qualité de ces 3h de sommeil
- Manger le plus possible juste avant d'aller me coucher, idéalement organiser un repas à l'hôtel où je vais dormir
C'est très simple, mais fini les stratégies farfelues avec des rythmes décalés. Cette année, je pars du principe qu'un rythme régulier et stable est la clef. Se coucher à la même heure, partir à la même heure, manger des repas aux mêmes heures. Bref, entrer dans un rythme régulier. Je bosse donc sur une stratégie qui se base là-dessus et je débouche sur le plan suivant :
Stratégie Race Across France →
Comment lire cette stratégie ?
En gros, j'ai découpé le parcours en segments de plus ou moins 50km, chaque segment se terminant à un col, un village ou une base de vie. Pour chaque segment, j'ai noté la distance et le dénivelé positif. Je commence par le premier segment dont je connais mon heure de départ : 19h20. Ce segment fait 54km avec 427m de dénivelé positif. Étant donné ma fraîcheur au départ et le ratio de dénivelé, j'estime ma vitesse moyenne sur ce segment à 28km/h - un départ tranquille ! Je sais donc qu'il me faudra environ 1h55 pour rouler ce segment.
À cela, il faut ajouter le temps de pause. Je différencie les pauses en 3 catégories :
- Temps de pause par défaut (feux rouges, pipi et autres arrêts imprévus - en gros, un buffer)
- Temps de pause intentionnel (ravitaillement en eau, nourriture et pauses planifiées)
- Sommeil (dodo!)
Je définis un temps d'arrêt par défaut d'1 minute par heure de vélo. D'après mon expérience, ça couvre les feux rouges, les moments où il faut poser pied à terre, faire pipi et la crevaison occasionnelle. C'est vraiment un buffer - j'ai souvent de l'avance au début, puis je rattrape ce temps après la première crevaison ou imprévu.
Pour les pauses intentionnelles, il s'agit généralement de l'une de ces 4 situations :
- Ravito eau (3min)
- Ravito nourriture (10min)
- Préparation avant/après sommeil (15min chaque fois)
- Arrêt Base de vie (20-30min)
Pour le sommeil, je prévois généralement 3h sur cette course, mais ça peut varier. Une journée standard avec 3h de sommeil sera typiquement structurée comme suit : 3h de sommeil, 30min de transition avant/après sommeil, 2 ravitos en nourriture de 15min chacun, 4 ravitaillements en eau de 2-3min chacun, 19 heures et 30 minutes de vélo et donc 20 minutes de temps d'arrêt par défaut.
Si l'on revient à notre premier segment : 1h55 de vélo, donc 1min55 de temps de pause par défaut. Comme j'aurai à manger et à boire après le départ, je ne prévois pas d'autre arrêt et évidemment pas de sommeil. Le segment devrait donc me prendre au total un peu moins de 1h58. Je sais alors à quelle heure je vais commencer le segment suivant, et je répète le même raisonnement.
Je sais que je dois me ravitailler en nourriture toutes les 10-15h et en eau toutes les 4h (selon la chaleur et le moment de la journée). Ce n'est pas une science exacte, mais le but est que cela me rapproche de la réalité afin de planifier mes arrêts et surtout le sommeil.
Pourquoi raisonner en segments ? Simplement parce que c'est beaucoup plus facile à anticiper. Sur la base d'une heure de départ, d'une distance et d'un dénivelé, je peux être assez précis sur mes vitesses moyennes en prenant en compte le temps écoulé et mon état de fraîcheur probable. L'objectif est de me donner une idée aussi claire que possible du déroulement du début de course. Car pour moi, le plus important est le début - je sais qu'à un moment je vais dévier du plan pour x ou y raisons, mais plus longtemps je reste dans le contrôle et en terrain connu, mieux c'est pour ma course.
Je sais que j'aime m'arrêter dormir vers 1h du matin. Je regarde donc où mon plan m'amène vers cette heure la première nuit et j'identifie les villes à proximité. Dans mon cas, je pense pouvoir arriver à Argenton-sur-Creuse vers 1h30 du matin - c'est une ville avec plusieurs options d'hôtels, le plan idéal. Cela se situe au km830 avec environ 6000m de dénivelé à couvrir jusque-là. Pour y arriver, il faut que je roule à peu près 28h30 à 29 km/h de moyenne, avec un temps de pause total d'environ 1h20 jusqu'à Argenton.
Et voilà, la première pièce du plan est posée ! Je sais ce que je dois faire pour y arriver. Pour m'assurer de ne pas être trop gourmand, je ne réserve évidemment rien à l'avance. Je me fixe un temps de pointage intermédiaire un peu avant le km400 à Loudéac pour voir où j'en suis. Si j'ai moins de 15 minutes de retard à Loudéac, je réserverai un hôtel à Argenton-sur-Creuse au petit matin.
C'est comme ça que je fonctionne - ça me permet de visualiser des choses concrètes. Je sais qu'au départ, je veux dormir dans 30h le plus loin possible, donc il faut que j'en roule 28h30 à environ 29 km/h de moyenne et que je m'arrête max 1h20. Ce sont des éléments que je peux suivre en temps réel et visualiser à l'avance. Ça m'apporte de la sérénité et m'aide à ne pas me préoccuper de ces détails pendant la course. Je sais à tout moment que la réflexion a été faite en amont, que j'ai juste à exécuter et non à réfléchir - une charge mentale en moins.
À Argenton, je prévois de dormir 3h pour un temps d'arrêt total de 3h30 (15 min de transition avant et après le sommeil - un temps généralement utilisé pour gérer l'équipement, mettre les appareils à charger, panser les plaies, préparer le matériel, se doucher...). Je repartirai donc un peu avant 5h du matin de mon hôtel pour attaquer le segment suivant.
Je suis la même logique pour la journée qui suit, en partant évidemment du principe que je vais être plus lent de jour en jour. Je regarde où j'atterris vers 1h du matin et je vois que je serai à environ 50km de la base de vie à Montastruc où m'attendra un dropbag avec des affaires de rechange et de la nourriture. Je pense pouvoir être à 2h30 à la BDV de Montastruc - est-ce que ça vaut la peine de pousser jusque-là ? Je pense que oui, car de toute façon il faudra s'arrêter à la BDV pour se changer, etc. Autant optimiser et y dormir aussi, surtout que j'y serai probablement seul et en tête si je parviens à tenir mon plan jusque-là. C'est une optimisation de temps qui peut valoir l'effort et le petit risque supplémentaire. Je décide donc de garder cet objectif en tête : y être vers 2h30 du matin et y dormir 3h.
Je pense qu'à ce stade, vous comprenez le raisonnement. Je vous épargne les détails de la suite et vous présente directement le résumé de la stratégie de course (les distances et durées sont arrondies pour simplifier la lecture et s'en souvenir plus facilement - on n'est pas à la minute près) :
- Bloc 1: Dinan → Argenton-sur-Creuse 830km et 6000m de dénivelé 28h30 de vélo à 29 km/h et 1h20 de temps d'arrêt Arrivée à 1h30 à Argenton-sur-Creuse
- Sommeil 1: Argenton-sur-Creuse 3h de sommeil pour 3h30 d'arrêt à l'hôtel Départ à 5h de Argenton-sur-Creuse
- Bloc 2: Argenton-sur-Creuse → BDV Montastruc 495km et 6000m de dénivelé 20h20 de vélo à 24.2 km/h et 1h15 de temps d'arrêt Arrivée à 2h30 à la base de vie de Montastruc
- Sommeil 2: BDV Montastruc 3h de sommeil pour 3h45 de temps d'arrêt à la Base de Vie Départ à 6h de la base de vie
- Bloc 3: BDV Montastruc → BDV Clermont-Ferrand 380km et 6000m de dénivelé 17h20 de vélo et 1h00 de temps d'arrêt Arrivée à 00h00 à Clermont-Ferrand
- Sommeil 3: BDV Clermont-Ferrand 3h de sommeil pour 3h30 d'arrêt à la Base de Vie Départ à 3h30 de la Base de Vie
- Bloc 4: BDV Clermont-Ferrand → Cruis 450km et 6500m de dénivelé 21h de vélo à 21.4 km/h de moyenne et 1h10 de temps d'arrêt Arrivée à 1h45 à Cruis
- Sommeil 4: Hôtel à Cruis 3h de sommeil pour un temps d'arrêt de 3h30 Départ à 5h15 de l'hôtel
- Bloc 5: Cruis → Mandelieu-la-Napoule 452km et 8500m de dénivelé positif 22h de vélo à 20.5km/h de moyenne et 1h20 de temps d'arrêt Arrivée à 5h06 à Mandelieu-la-Napoule
Voilà, le tout se résume à ceci. C'est ce que je vais visualiser et avoir en tête à l'approche de la course. Ce plan, ambitieux mais réaliste, me permet de terminer la course en un peu moins de 130h, soit 5 jours et 10 heures - un peu moins de 2h de plus que le record de la RAF. Je pense que cette année, le parcours est trop long et un peu trop difficile pour viser de battre le record. Pour arrondir, je me fixe comme objectif de faire moins de 5 jours et demi (5 jours et 12 heures), ce qui ferait de ma course la deuxième plus rapide de l'histoire de la RAF. Au vu du parcours, ce serait un top résultat.
Pour résumer l'objectif global de la course, voici ce qu'il en est :
- Distance: 2607km
- Dénivelé Annoncé: 32'000m
- Durée totale: 129h46
- Temps de vélo: 109h30
- Vitesse moyenne de déplacement: 23.8 km/h
- Temps d'arrêt total: 20h14
- Temps de sommeil total: 12h00
- Stop Ratio: 15.6%
- Sleep Ratio: 9.3%
Voilà pour la stratégie de course, je suis conscient que ce niveau de détail peut paraître un peu excessif. Mais personnellement, ça m'aide beaucoup. Encore une fois, les détails complets sont disponibles ici.
Séjour salvateur à Lanvallay
Voilà, les formalités contextuelles mises de côté, venons-en enfin à cette édition 2025. L'aventure commence pour moi le samedi 7 juin où je rejoins Dijon en train pour retrouver les copains. Au moment du départ, je suis exténué de mes 3 semaines à Paris et de 36h de rush à la maison pour tout préparer pour la RAF, la fatigue se fait vraiment sentir. Heureusement qu'il me reste quelques jours avant la course.
Je suis récupéré par Fabien à la gare de Dijon qui m'emmène chez Antoine et Éloïse où nous restons souper et où je vais passer la nuit. Comme d'habitude, Antoine et Éloïse nous accueillent comme des rois. C'est un fameux cuistot, au menu du soir, une entrecôte avec une sauce maison aux échalotes et des frites. Absolument royal.
C'est chouette de retrouver ces deux super copains rencontrés au travers de ces aventures à vélo. Pour la deuxième année consécutive, nous participons tous les 3 à la Race Across France 2500km, et suite à la super expérience de l'année passée, on a décidé de passer les 3 nuits avant le départ ensemble à Dinan. En 2024, nous avions fait pareil à Lille et c'était juste génial. Trois jours lors desquels on mange, on dort, on parle de la course, on se met en conditions, on fait monter l'excitation, on discute de tout. Enfin, pas vraiment, en réalité, on parle surtout de la course... Une petite heure de vélo ici et là, mais c'est tout, le repos est roi, et en si bonne compagnie, c'est une chance. On était arrivés au départ prêts à en découdre, c'était la transition idéale entre la vie quotidienne et la Race Across France. Je suis conscient que c'est une chance de pouvoir se le permettre.
Après un repas royal et quelques premiers ragots, on charge les premiers vélos dans le légendaire Berlingot. On va faire la route de Dijon à Dinan le lendemain avec tout le matos dans la voiture. 5 vélos, à manger pour 4 jours et toutes les affaires, une belle partie de Tetris s'ensuit. 5 vélos car on embarque le vélo d'Éloïse, qui pour nous permettre de monter en voiture à Dinan, va faire le trajet en bus et en train le jour du départ depuis Dijon pour récupérer la voiture à Dinan avant de nous suivre de loin pendant la course et nous retrouver à Dinan, quelle chance on a qu'elle fasse tout ça pour nous, ça nous ajoute tellement de confort.
On finit de tout charger le lendemain matin, et le Berlingot plein à craquer, on prend tous les 3 la route de Dinan, au menu, 6h de route. Comme d'habitude, n'ayant pas le permis, je ne sers à rien ! On s'arrête à mi-chemin pour engloutir un énorme burger et arrivons finalement vers 18h30 à Dinan. On loge dans un AirBnb à Lanvallay, juste à côté de Dinan. On déplie les bagages et on file faire une petite heure de vélo pour se dérouiller les jambes du voyage. Voilà, on y est, maintenant il ne reste plus qu'à se reposer et manger le plus possible pendant 3 jours.
J'avais désespérément besoin de ces quelques jours. Antoine nous a préparé un menu 5 étoiles, c'est comme à l'hôtel. Il s'occupe des repas matin, midi et soir, quel seigneur. Ci-dessous le menu :
Il n'y a pas grand-chose à dire sur les jours qui suivent. On dort au maximum, on mange plus qu'à notre faim et on prépare minutieusement les vélos et les dropbags pour le grand jour. J'aimerais bien vous dire qu'on parle de tout et de rien, mais pour être honnête, nos conversations tournent invariablement, d'une manière ou d'une autre, autour de la course. On se met en conditions, et de mon côté, je regagne quelques points de vie dont j'aurai cruellement besoin une fois le départ donné.
Particularité cette année : mon coach, Loïc Lepoutre, participe aussi à la RAF ! Une édition qui s'annonce sans doute spéciale pour lui car il entraîne de nombreux athlètes au départ, dont notamment Laurent Boursette, une légende et l'un des précurseurs de la discipline qui a notamment remporté la RAF en 2018 et 2019, lors des deux premières éditions. Laurent a peu participé à des compétitions ces dernières années, mais depuis quelque temps, il s'y est remis en travaillant avec Loïc dans le but de gagner la RAF 2025. La plupart d'entre eux arrivent sur place le mardi soir, et on convient de se retrouver pour une petite sortie d'échauffement et pour reconnaître les 20 premiers kilomètres du parcours. Une petite heure et demie avec Loïc, Laurent, Fred, Xavier et Arnaud, le fondateur de la RAF, qui se joint aussi à nous. C'est sympa et ça fait surtout plaisir de voir Loïc ! Retour à la maison pour la dernière vraie nuit avant une longue semaine de vélo. Les dés sont jetés, et maintenant, il n'y a plus qu'à ! Merci Fabien, Antoine, et Alix (qui s’est joint à nous dès lundi soir) pour ces quelques jours géniaux qui m’auront redonné un souffle de vie. Et merci a Eloise, sans qui la logistiques de ces quelques jours aurait été un peu plus compliquée!
Le grand départ
Je dors super mal, c'était à prévoir, cela fait trop longtemps que cette course occupe tous les recoins de mon esprit. Le jour avant le départ, difficile de s'en détacher. Je suis content d'enfin y être. On finit de préparer nos affaires, on charge la voiture et vers 11h on quitte l'AirBnb pour se rendre au départ, au centre de Dinan pour passer au travers du désormais routinier check-in et contrôle des vélos. L'arrivée sur le lieu de départ est géniale car j'y retrouve tous les visages familiers, que ce soit les bénévoles que je commence à bien connaître, ou d'autres participants. Il faut dire que c'est ma 8ème participation à un événement Race Across, ça commence à faire beaucoup ! Les bénévoles et le staff sont aux petits soins, c'est génial de les retrouver. Je sens aussi pour la première fois que je commence à être un visage familier pour les autres participants, un sentiment nouveau sur une course d'ultra pour moi. Il est vrai que cette année, j'ai ouvertement annoncé vouloir gagner la course, et je suis attendu, ou du moins cité, parmi les favoris. C'est particulier comme sentiment, et en tout cas nouveau pour moi. C'est chouette, mais cela rend difficile de trouver un vrai moment de calme pour finir de se préparer car je me retrouve souvent interpellé ou en discussion avec diverses personnes.
Le contrôle du vélo et du matériel obligatoire complété, on va manger une dernière fois au restaurant avec les copains au centre de Dinan. Parmi les innombrables crêperies, on trouve un petit restaurant où l'on croise Simon Tarabon, un Lyonnais costaud qui participe également à la course. On y mange super bien. Il y a vraiment le sentiment que la ville est envahie par la RAF, il y a des cyclistes partout. C'est d'ailleurs une super jolie ville avec un magnifique vieux centre, un endroit idéal pour un départ en plein cœur de ville. Cette année, nous sommes presque 250 au départ du 2500km, un record pour la RAF et un chiffre énorme pour une course aussi longue. Cela reflète bien l'évolution de cet événement qui commence vraiment à prendre de l'importance.
Après le repas, on retourne au centre de congrès où le contrôle des vélos a lieu pour un dernier check, pour la coutumière pasta party d'avant course et surtout, pour le traditionnel briefing avec le speaker de la RAF, Fergus. À la pasta party, je retrouve Lucas Becker et Alexandre Bizeul, respectivement 1er et 3ème de l'édition 2024. À mes yeux, les deux principaux concurrents pour cette édition 2025. Lucas fait partie des meilleurs en Europe avec de nombreuses victoires et podiums sur certaines des plus grosses courses, et Alexandre sort d'une préparation de dingue où il a gagné la Race Across Paris 1000km et lors de laquelle il a avalé les kilomètres. Pour avoir passé 3 semaines à Paris, j'ai un respect énorme pour Alex qui s'entraîne comme un dingue tout en habitant dans le 15ème arrondissement. Il a une forme incroyable et ça ne fait aucun doute qu'il va faire une grosse course.
Avec Lucas, il y a un sentiment d'incontournable, d'autant plus que cette année il arrive avec un objectif ambitieux de rouler 2500km en 5 jours. Cet objectif est carrément noté sur le cintre de son vélo, il n'est pas là pour enfiler des perles et il exprime clairement une intention d'optimiser sa gestion par rapport à 2024 où il avait gagné en 5 jours et 18 heures, mais tout le monde avait le sentiment qu'il n'avait pas vraiment été repoussé dans ses retranchements. Il s'arrêtait beaucoup et n'optimisait pas vraiment sa gestion. Un Lucas qui optimise ? Ça fait peur. Ça promet.
Il y a globalement un beau casting au départ avec 8 des 10 premiers de l'édition 2024 qui sont de retour, tous avec l'intention d'améliorer leur performance. Parmi eux, on retrouve la légende Régis Courteille qui participe à sa 6ème RAF, Joachim Mendler (4 top 5 dont 2 podiums, 2ème en 2024), William Debode, 10ème en 2024, notre très cher chef Penkalla qui termine 5ème l'année passée et revient avec de grosses ambitions, Mark Arnold, 3ème en 2023. Ajoutez à cela le retour de Laurent Boursette, l'addition d'outsiders comme Maxime Prieur de GCN ou Louis Charpentier, vainqueur de la RAF 500km en 2024, Hugo Delcroix ou Florent Vilboux, et vous obtenez un joli casting qui promet une grosse bataille à l'avant de la course. On sent qu'il y a une vraie anticipation quant à cette bataille qui s'annonce palpitante parmi les 10 premiers. Lucas, originaire de Berlin mais qui habite à Nantes, et qui connaît donc très bien le début de parcours, nous prévient que le profil de ce début est un peu trompeur et étonnamment difficile. Il dit qu'il va falloir ne pas partir trop vite... J'attends de voir...
C'est au moment du briefing qu'on réalise vraiment l'ampleur de l'événement. Le briefing a lieu dans une salle de conférence pleine à craquer. C'est impressionnant à voir. Le briefing nous repasse à travers les formalités : matériel, règlement, parcours, équipe média, etc. Plus intéressant est le point météo car, en effet, la nuit bretonne s'annonce (sans surprises ?) bien humide, avec une petite pluie constante et le passage de quelques gros orages et averses. J'imagine que cela fait partie de l'expérience de rouler en Bretagne. Ça ne me dérange pas, j'ai fait assez de courses sous la pluie pour ne pas trop m'en préoccuper. Tant qu'il ne fait pas trop froid, ce qui ne sera pas le cas, ce n'est pas réellement un problème.
Le briefing termine vers 18h, les premiers départs sont à 19h, on y est ! Le temps de faire une petite photo de départ avec les copains Lucas, Antoine et Fabien et de rejoindre le centre de Dinan pour le grand départ. L'ambiance au départ est géniale, plein de monde autour de la rampe de départ, les départs sont donnés toutes les 30 secondes dans l'ordre des dossards.
Les dossards de la Race Across France sont attribués à vie. Lorsque l'on s'inscrit pour la première fois, on récupère le premier numéro disponible. Dans mon cas, c'était en 2023 et je suis l'USS304 (Ultra Self Supported). Un chouette concept qui marque et souligne l'ancienneté. Laurent Boursette, USS14, est le premier à prendre le départ cette année. Je pars à 19h20, il y a donc 39 aînés qui prennent le départ avant moi. Lucas et Alexandre partent à 30 secondes l'un de l'autre, 5 minutes avant moi.
Je profite de ces derniers instants de calme, je prends un moment pour m'allonger par terre et méditer rapidement, me préparer à ce qui arrive, parce que oui, ça va être long, très long, et dur, très dur. 5 minutes avant mon départ, je suis appelé à rejoindre le sas de départ, je reçois mon tracker, photo officielle juste avant de partir, puis la grande heure est arrivée. Fergus, le speaker, m'introduit rapidement, me souhaite de ne pas casser de pédalier cette année, puis 3, 2, 1... et c'est parti, me voilà lancé pour 2607km de course folle à travers la France.
La Bretagne à toute allure
Les premiers kilomètres nous font traverser puis contourner Dinan. Je rattrape vite les premiers participants, on prend parfois le temps d'échanger brièvement, puis une fois sorti de la ville et de son trafic, je me mets dans mon rythme. Je prends un peu de temps à réaliser que la course a enfin commencé et qu'elle va durer un peu moins de 6 jours. 6 jours, wow, ça va être long ! On s'y prépare des mois, mais une fois que c'est là, qu'on réalise l'énormité du truc, on prend quand même toujours un mur.
Je pars tranquillement, je me suis fixé un rythme modeste mais constant sur les 20 premières heures. L'objectif est de tenir une puissance normalisée de 230-240 Watts au moins jusqu'à la première base de vie à Quelaines-Saint-Gault. Cela devrait me permettre de tenir mes estimations. Je sais également que je suis parti pour près de 30h de vélo sans dormir, pas besoin de trop se presser maintenant.
Le début du parcours que j'ai reconnu ces derniers jours est sympa mais bien vallonné. Il nous amène vers la côte que nous allons rejoindre après près de 40 kilomètres. Il fait encore bien jour et la météo reste correcte. Nous n'aurons pas de coucher de soleil mais au moins on va pouvoir profiter un peu des quelques heures de lumière avant une nuit annoncée humide. Longer la côte de jour est super, je suis content qu'on soit parti à 19h et non pas à 21h comme l'année dernière. La côte de Bretagne, c'est beau.
Je rattrape les participants au fur et à mesure et profite pleinement des paysages avant d'être, un peu à ma surprise, repris par Pascal Le Roux après un peu moins de 2h de course. Il est parti 10 minutes derrière moi, pfiu, départ rapide ! Pascal est un ancien élite, un vrai costaud. Il a fait de nombreuses Race Across et a notamment remporté le 1000km en Suisse l'année dernière, mais il a aussi pas mal de DNF à son actif. Il part souvent très vite et est rattrapé par des soucis en cours de course. Je lui souhaite vraiment que cette année soit la bonne !
On reste un moment à proximité, lui parfois quelques dizaines de mètres devant, parfois l'inverse, avec quelques moments d'échanges entre deux. J'aime bien ce début de course où l'on peut échanger, j'en profite, car cela va probablement vite devenir beaucoup plus rare !
Je vérifie le tracker et constate que je suis 26ème après les 50 premiers kilomètres. Et bah, y'en a beaucoup qui sont partis forts ! Je vais pourtant plus vite que j'avais prévu et comptabilise presque 31km/h de moyenne. Ironie, Lucas qui nous avait mentionné qu'il allait falloir se ménager en Bretagne, est parti comme un missile avec une vitesse moyenne de plus de 35 km/h sur ces premiers 50km. Et bah, quel animal !
Je ne m'affole pas, je vais déjà plus vite que prévu et je suis assez confiant qu'en tenant mon effort les 20 premières heures, je devrais me trouver en tête de course. J'ai suffisamment à manger pour presque 20h, je ne vais pas avoir besoin de m'arrêter, si ce n'est pour l'eau. Pas de stress. Les choses se corrigent déjà au pointage du kilomètre 100 où je remonte à la 9ème place.
La nuit est tombée, les choses vont se calmer, tout le monde va gentiment se mettre dans son propre rythme. Pascal est toujours à proximité, cela va durer jusqu'au kilomètre 150 où l'on rattrape la légende : Régis Courteille. Pascal s'arrête récupérer de l'eau à un cimetière. On ne va pas se revoir avant la fin. Je continue à proximité de Régis, avec qui c'est toujours un plaisir d'échanger.
Pendant quelques heures, je n'arrive pas à me débarrasser de Régis, et vice versa. Je prends chaque fois un peu d'avance sur les sections plates, puis il me rattrape à la montée. Cette dynamique se prolonge pendant quelques heures. Les routes sont sinueuses et demandent beaucoup d'attention. Nous empruntons de nombreuses routes secondaires avec des virages fréquents, le revêtement est souvent mauvais et les choses sont compliquées par quelques grosses averses. Les routes sont humides, cela en fait un bon exercice de concentration, bien que je m'en serais passé. Je frôle l'erreur à quelques reprises, un rappel que parfois, il s'en faut de peu.
Je m'arrête finalement à un cimetière pour remplir mes gourdes, mon deuxième arrêt depuis le départ. Régis prend donc un peu d'avance. Je me remets rapidement dans mon rythme et après une dizaine de minutes, j'aperçois sa lampe arrière au loin alors qu'il prend un virage serré à gauche sur une petite route en descente. Quelques dizaines de secondes plus tard, je prends le même virage et constate l'état déplorable de la route couverte de boue. Et bien, il ne fallait pas le prendre trop vite celui-ci !
Alors que je m'avance prudemment sur cette route, je vois la lampe de Régis, peut-être 200m devant moi, qui s'étale sur le sol. Régis vient de chuter. Je le rejoins quelques secondes plus tard alors qu'il est à terre et m'arrête à ses côtés. La route est en pente, c'est un long virage vers la droite sur une route couverte de boue, il pleut, Régis a des lunettes, des freins à patins, il fait nuit, la visibilité est mauvaise... c'était si facile de chuter dans ce virage. Peut-être que sans la chute de Régis, c'est moi qui y serais passé.
Je récupère le vélo de Régis et l'aide à se relever. Il est couvert de terre et semble bien amoché, avec un peu de sang visible au niveau du genou et de la hanche. Je reste quelques minutes avec lui afin de m'assurer qu'il va bien. Je remets sa chaîne en place, son vélo a l'air d'aller, seul le porte-bagages a l'air un peu endommagé, mais rien de trop grave. Bon, au moins ça.
Cela a beau être une course, il y a des situations dans lesquelles la compétition devient secondaire, l'entraide prend le dessus. C'est là la beauté de l'ultra, c'est cette bienveillance qui règne entre tous les participants. Il ne fait pas l'ombre d'un doute que tout autre participant en aurait fait autant. Même si nous sommes en compétition et ne nous faisons pas de cadeaux, nous nous souhaitons sincèrement le meilleur, il n'y a pas la moindre animosité. Cette solidarité est précieuse, et c'est une chance de pouvoir courir dans un tel environnement. Pour avoir pratiqué d'autres sports de compétition avant, je sais que cette fraternité n'est pas chose commune.
Après quelques minutes, Régis, bien qu'un peu sous le choc, semble lucide et remonte sur son vélo. Et on repart ensemble. Il est brave de repartir comme ça, c'était une sale chute.
Il peine quelques minutes, assez silencieux. Je l'accompagne pendant une dizaine de minutes lors desquelles on s'arrête une ou deux fois car son porte-bagages fait quelques bruits anormaux. Une fois certains que ce n'est pas trop grave, on repart. Quelques minutes plus tard, il semble retrouver un rythme correct. Je lui demande si ça va aller, il me dit que oui, on se souhaite une bonne continuation, et je prends le large.
Je suis dégoûté pour lui, c'est certain que cette chute va avoir un impact sur sa course, il avait l'air dans une grande forme. J'espère pour lui que ça va aller. Ça ne doit pas aller si mal car je peine à creuser l'écart. Quel gars ce Régis. Finir 5 Race Across France, chaque fois dans le top 10, ce n'est pas pour tout le monde, et ce n'est surtout pas un hasard. Une véritable légende et une personnalité incontournable de la Race Across France.
Peu après, je n'aperçois plus sa lampe avant derrière moi. J'appelle le PGO (Poste de Gestion Opérationnel) de la Race Across France pour les informer de la chute de Régis. Bonne nouvelle, il y aura quelqu’un de compétent qui devrait le recevoir à la prochaine base de vie afin de vérifier ses plaies. Sale affaire, mais le bilan ne semble pas trop grave, et la course continue. Cette fois, je me retrouve seul.
Je retrouve rapidement mon rythme, et vers 4 heures du matin, je retrouve même une énergie nouvelle. Après avoir passé les 9 premières heures relativement tranquillement, j'augmente légèrement mon allure. À ce moment-là, je suis 6ème alors que nous avons parcouru un peu plus de 250km. Au vu du rythme tranquille de ce début de course et des quelques contretemps, j'ai alors près de 40 minutes de retard sur Lucas qui est en tête.
Mais l'écart avec la tête de course va rapidement fondre pendant les heures qui suivent. Le rythme général a baissé, alors que le mien augmente légèrement. Au kilomètre 300, je n'ai plus que 20 minutes de retard sur la tête de course. Ceci n'est pas uniquement dû à mon rythme qui a augmenté, mais aussi au fait que Lucas s'est arrêté pour une petite sieste.
Lucas est le plus rapide, tout le monde le sait. Mais tout le monde sait aussi que Lucas n'aime pas l'absence de sommeil et qu'il a beaucoup de mal à passer une nuit entière sur le vélo. Déjà l'année passée, il s'était arrêté pour une petite sieste la première nuit. C'est donc Alexandre Bizeul et Louis Charpentier qui reprennent la tête.
Vers 5h du matin, je rattrape Lucas qui vient visiblement tout juste de repartir de sa sieste, il a l'air encore bien endormi. Il est visiblement encore un peu dans le dur et n'est pas super bavard. On roule quelques minutes ensemble puis je me dis que je vais essayer de le lâcher. Il n'a pas l'air très bien et je me dis que cela serait une première petite victoire psychologique. Futile, vous direz sûrement, et je suis d'accord, mais bon, je tente quand même.
Je tiens pendant plusieurs minutes un rythme autour des 300 Watts, ce qui sur un parcours relativement plat se traduit par une bonne allure. Je m'attends à le lâcher sans trop de problèmes. Mais non, rien à faire, il reste à 20 mètres derrière. Cela dure 10 bonnes minutes avant que j'abandonne. Ça ne sert à rien, je reprends mon rythme. Lucas me rejoint, et il dit "ah, merci, ça réveille". Et hop, première victoire psychologique pour Lucas Becker. Si même à plat, alors qu'il vient de se réveiller et qu'il n'est pas très bien, je n'arrive pas à le lâcher, ce n'est pas de bon augure. Quel affreux ce Becker, il dégoûte !
On roule à proximité alors que le jour se lève. Je prends finalement un peu d'avance au petit matin où je constate que je suis remonté à la 3ème place. L'écart avec Alexandre qui est en tête est maintenant de moins de 20 minutes. Je profite du lever du jour jusqu'à ce que je constate que j'ai crevé à l'arrière.
Cette année, j'ai opté pour des chambres à air plutôt que du tubeless, simplement pour une question de praticité. Les pneus tubeless peuvent être particulièrement difficiles à manipuler, surtout en fin de course quand les mains perdent en force et en précision. Avec des chambres à air, c'est toujours simple et je ne perds jamais plus de 10 minutes pour un changement. Certes, le risque de crevaison est plus élevé, mais avec 4 chambres de rechange (3 TPU et 1 Butyl) dans mes sacoches, je roule l'esprit tranquille. Et puis, sur un parcours 100% route comme celui-ci, les crevaisons devraient rester relativement rares…
Je prends donc 10 minutes pour changer proprement ma chambre à air, et après une bonne séance de pompage à la main, je repars, constatant avec plaisir que je suis toujours devant Lucas. Mais à peine 500m plus loin, je réalise que mon pneu avant est également à plat. Double crevaison simultanée, mince. C'est un peu frustrant, ai-je fait un mauvais choix?
Je m'arrête dans un petit village au bord de la route et recommence la procédure. C'est à ce moment que Lucas me dépasse. Il me demande si tout va bien, je le rassure d'un signe, il poursuit sa route pendant que je continue mon bricolage. Une dizaine de minutes plus tard, tout est réparé et je peux repartir. Après mon expérience à la SUCH 2024 — où j'ai dû m'arrêter toutes les 10 minutes pendant des heures pour regonfler mon pneu à la main — ces petites crevaisons semblent presque anodines. Mon échelle des problèmes mécaniques a été complètement recalibrée. Ce qui m'aurait semblé catastrophique hier n'est plus qu'un désagrément mineur aujourd'hui. C'est drôle de voir comment notre perception des problèmes peut évoluer si rapidement. En quittant le village, vers 6 ou 7 heures du matin, je croise deux personnes venues encourager les coureurs au bord de la route — ça fait vraiment chaud au cœur. J'ai d'ailleurs oublié de mentionner que tout au long de ces 350 premiers kilomètres, nous avons rencontré de nombreux supporters, de jour comme de nuit. Ces encouragements sont précieux, ils redonnent le sourire et un véritable regain d'énergie.
Après ces deux belles séances de pompage à la main, le mur de Bretagne se dresse devant moi : 600 mètres à 11%. Heureusement, c'est court, mais cette grande ligne droite porte bien son nom. Je remplis mes gourdes au sommet puis reprends la route avec un bon rythme.
Au cours des heures suivantes, je continue à réduire l'écart avec Lucas, Alexandre et Laurent qui ont quelques kilomètres d'avance. Derrière moi se trouve Louis Charpentier, vainqueur de la RAF 2024 500km, parti très vite. Il va falloir garder un oeil dessus.
Nous quittons progressivement la Bretagne, traversant des paysages sans grand intérêt particulier, et nous approchons de la première base de vie à Quelaines-Saint-Gault (km 550). Je rattrape d'abord Laurent qui s'est arrêté, puis retrouve Lucas quelques minutes plus tard. À trente kilomètres de la base de vie, nous rejoignons Alexandre qui fait une pause à un ravitaillement improvisé dans un Intermarché. Je m'y arrête également, plus pour le plaisir de retrouver Alexandre que par réel besoin.
Nous repartons ensemble et, une heure plus tard, nous arrivons tous les trois à la base de vie avec moins de 2 minutes d'écart. Comme un air de déjà-vu !
Bilan de ce premier segment, je suis actuellement premier après 550km en 19h23 dont 18h52 de vélo. Vitesse moyenne de 29.2km/h, c’est allé nettement plus vite que prévu car j’avais anticipé d’avoir besoin de 20h27 pour joindre cette première base de vie, j’ai donc presque 1h d’avance sur mes prévisions. Pourtant, le parcours était un peu plus dur que prévu avec près de 5’500m de dénivelé contre 4’500m anticipés. Niveau puissance, je suis a 230W de moyenne et 250W de puissance normalisée. Je suis content, 250W normalisé sur 19h, c’est objectivement bien, et je me sens encore plutôt bien, je sais que le rythme va dorénavant baisser. J’ai seulement 30 minutes d’arrêt jusqu’ici, mais entre les deux crevaisons et la chute de Régis, j’aurais probablement pas plus de 10 minutes à ce stade. C’est plutot encourageant pour la suite, car malgré ces quelques petits contretemps, je suis actuellement en tête. Bon, il faut dire que c’est la partie du parcours qui, en théorie, me convient le plus.
Nous nous retrouvons donc tout 3 à la base de vie, on s’arrête tous pour prendre un peu de temps, j’en profite pour manger un plat chaud et faire le plein de nourriture pour la suite. Je remplis mes gourdes, ma poche d’eau, passe au toilette, puis après une trentaine de minutes, je reprends la route avant Lucas et Alexandre qui sont encore en train de finir de se préparer. Il ne vont pas tarder, mais je repars en tête et cette fois je suis bien le premier sur la route! Alexandre va quitte la base de vie 5 minutes plus tard, quant à Lucas, il part une vingtaine de minutes après moi.
Mais où est passé le plat?
Au départ de la base de vie, je sens tout de suite que je vais devoir réduire mon rythme. Je me cale entre 200 et 220 Watts, ce qui devrait me permettre de maintenir mon écart avec Lucas et Alexandre. Je me réjouissais beaucoup des prochains 300 km car, sur le papier, cela devait être le segment le plus plat du parcours - et moi, le plat, j'aime ça. Mais je réalise vite que les prochaines heures ne vont pas être aussi fun que prévu : des petites routes, un fort vent de côté, et un parcours étonnamment vallonné.
Heureusement que j'ai une heure d'avance sur mes prévisions, car j'avais prévu d'aller vite sur ce segment, et je suis forcé de constater que ce n'est pas le cas. Plus tôt ce matin, au vu de mon avance, on a convenu avec Loïc et Greg (le frère de Loïc qui me donne un coup de main avec la logistique) de réserver un hôtel comme prévu à Argenton-sur-Creuse au kilomètre 836. Cela me laisse encore près de 290 km à parcourir avant de pouvoir dormir - ça promet d'être long. Je devrais y arriver vers 1h15-30 du matin, ce qui est bien. Je suis confiant que les autres vont s'arrêter avant et plus tôt. Il faut dire qu'un premier shift de 840 km, c'est un plutôt gros shift.
Le parcours traverse le parc naturel de la Loire pour ensuite nous emmener dans la Creuse. Le soleil est de retour et je profite pleinement des paysages. Je suis content de voir que l'écart avec les potes derrière s'agrandit progressivement. Je me ravitaille à une boulangerie à Noyant juste avant sa fermeture, faisant le plein pour tenir jusqu'à mon hôtel et pour pouvoir rouler les premières heures de nuit demain matin.
J'ai à peu près 20 et 30 minutes d'avance sur Alexandre et Lucas respectivement. Alexandre va s'arrêter assez tôt, vers 22h, pour dormir dans un hôtel à Louan. Je pars du principe qu'il va dormir 3-4h et donc repartir vers 2h du matin. De mon côté, j'aime bien m'arrêter plus tard pour éviter d'avoir à rouler trop longtemps de nuit au petit matin. Les heures nocturnes sont toujours moins productives; ne pas en faire trop à la fois m'aide.
J'aime bien me dire que je n'ai que deux heures de nuit à faire le soir et 2h le matin. Je me dis "Ok c'est que 2h, tu te concentres, tu donnes tout, et après tu peux dormir". Cette stratégie semble me réussir car l'écart avec Lucas est maintenant de presque 1h30.
Lucas, quant à lui, s'arrête vers 23h15 à Esves-le-Moutier au km 754. Il dort toujours dehors, restant ainsi flexible et s'arrêtant quand il commence à se sentir moins bien. Lucas dort normalement "beaucoup", du moins plus que les autres à l'avant de la course. Je suis curieux de voir combien de temps il va s'arrêter.
Derrière moi, il y a encore Régis Courteille qui roule et qui est passé devant Lucas qui vient de s'arrêter. Ça fait plaisir à voir et montre que, malgré sa chute, il peut continuer et garder un bon rythme. Régis ne tarde pas à s'arrêter aussi. Globalement, il semble que tous les concurrents principaux se soient arrêtés avant minuit. Je suis le seul à encore rouler.
Cela commence à être difficile et il faut vraiment que je tire le meilleur de la prochaine heure et demi afin que mon choix se montre payant. Je fais de mon mieux pour rester éveillé et concentré. C'est un peu limite, mais ça va, je reste lucide et parviens à maintenir un rythme acceptable.
J'arrive finalement à 1h15 à mon hôtel à Argenton, soit 20 minutes plus tôt que prévu. So far so good! Un repas froid m'attend dans ma chambre : du jambon, du fromage, du riz, un yaourt. Je prends le temps de me doucher, préparer mes affaires pour le lendemain, manger, appliquer de la crème cicatrisante sur les zones sensibles, de la crème anti-inflammatoire sur mes jambes, ma nuque, mes pieds. Après une vingtaine de minutes, je me mets au lit pour 3h de sommeil. Le réveil est prévu à 4h45. Je suis confiant que je vais repartir en tête, mais il sera intéressant de voir où en sont les autres à ce moment-là!
Je suis content de ce premier segment de course que je trouve avoir bien géré malgré un parcours nettement plus difficile qu'anticipé et plusieurs petits contretemps. Avoir 20 minutes d'avance malgré cela est une surprise positive. Au bilan: 836 km et 8'000 m de dénivelé positif (contre 5'500 anticipés...) en 29h55 dont 28h41 sur le vélo. Ma vitesse moyenne jusqu'ici est de 29,1 km/h. Quant à la puissance, je suis redescendu à 210W de moyenne pour 230W de puissance normalisée. Not too bad!
Pour ce qui est de mes arrêts, j'ai un total de 1h15 jusqu'ici, dont 30 minutes à la base de vie, 15-20 minutes pour les deux crevaisons, 10 minutes pour accompagner Régis, 5 minutes pour un ravito boulangerie et le reste pour me ravitailler en eau à des cimetières et fontaines.
Plateau des Millevaches ou Millebosses?
Mon téléphone, posé à côté de ma tête, sonne à 4h45. Je mets toujours l'alarme la plus violente possible pour être sûr de ne pas manquer le coche. Au cas où, j'ai programmé plusieurs rappels pour m'assurer de ne pas traîner. Je sors du lit et, comme un robot, je commence ma petite routine matinale : repas, crème chamois sur les zones sensibles, baume du tigre sur les jambes et genoux, cirage de la chaîne, vérification des gourdes, brossage des dents (ça réveille) et tout remettre dans les sacoches. 20 minutes après l'alarme, je ressors de l'hôtel et me remets en route.
Tous les autres roulent déjà depuis une heure ou deux et se sont bien rapprochés. Alexandre n'est plus qu'à 20 minutes, quant à Lucas, il a un peu moins d'1h30 de retard. Lucas a fait une nuit légèrement plus longue qu'Alexandre et moi. Lorsqu'on reprend la route le matin, il y a toujours une transition douloureuse de 10-15 minutes à passer : les fesses font mal, les genoux grincent. C'est comme faire redémarrer un vieux moteur de voiture - il n'aime pas trop, mais ça passe, même si c'est dans la douleur. Il faut un peu de temps au corps pour s'habituer à ces douleurs qui s'installent et qui sont là pour rester. C'est souvent après 2-3 jours que le corps se met dans le rythme. Pour l'instant, il ne sait pas trop ce qui se passe, il lutte, il pense que les douleurs vont me convaincre d'arrêter. Une fois qu'il aura compris que ça va durer, ça ira mieux.
Je pars un peu lentement mais retrouve rapidement une bonne forme et un rythme correct. Tant mieux, car les choses sérieuses commencent avec l'arrivée des premières vraies ascensions. Rien de majeur, mais sur les prochains 100 km, il n'y a pas de répit : c'est une succession de petites montées qui nous attend pour nous emmener au plateau des Millevaches et le Limousin à 800 m d'altitude. Dit comme ça, ça ne paraît pas méchant, mais je vous assure que c'est bien casse-tête : monter de 100 m, descendre de 50 m, monter de 100 m, descendre de 50 m... C'est interminable et la progression est assez lente.
Mais, à ma grande surprise, j'avance bien et me vois capable de passer ces petites ascensions à près de 250 watts. Rien de bien fou en temps normal, mais maintenant que le rythme de croisière s'installe chez tout le monde, cela me permet de tenir un rythme plus élevé que la plupart, à part bien sûr Lucas, qui comme d'habitude va plus vite que tout le monde.
Bien que je n'aie pas eu à rouler longtemps de nuit, le lever du soleil m'apporte beaucoup d'énergie. Quelle chance d'être là, en train de faire du vélo ! S'ensuit un petit moment d'euphorie où je profite pleinement de ce que je suis en train de faire. C'est le début des hauts et des bas de l'ultra : quand ça va bien, il faut en profiter à fond. Le soleil donne un premier aperçu de la région que l'on va traverser, et ça a l'air absolument sublime. J'ai beaucoup entendu parler du Limousin et de ce fameux plateau des Millevaches, je me réjouis de le découvrir. Alors que je profite du moment, je réalise que j’ai embarqué avec moi les clés de la chambre d’hôtel, mince, embêtant ça. Quel idiot je suis. En plus, ils n’ont qu’une clé, heureusement ils comprennent la situation et acceptent très gentiment que je renvoie la clé par courrier quelques jours plus tard sans me facturer quoi que ce soit, sympa.
Au sommet de l'une des montées, je suis accueilli par un supporter de la course venu nous ravitailler en eau. Un gars sympa, super fier de sa région et tout content qu'on la traverse. Il prévoit de retrouver les 5-6 premiers sur la route. Au moins, les autres vont aussi pouvoir profiter de ce ravito. Je ne me sens pas coupable de remplir mes gourdes et d'échanger rapidement avec cette personne dont je ne me souviens même plus du nom. Jusque-là, cette journée ne pouvait pas mieux commencer !
Après un peu plus de 130 km parcourus, je m'arrête vers 11h15 à un petit supermarché à Royère-de-Vassivière afin de me ravitailler pour la journée. Cela fait maintenant à peu près 6h que je suis parti, et les écarts avec Alexandre et Lucas se sont étendus à 1h et 2h respectivement. Est-ce que je viens vraiment de prendre du temps dans un segment très vallonné ? Ce serait bien la première fois ! Cela me donne pas mal de confiance car cela montre que j'ai bien amélioré mon rythme de croisière, notamment en montée. Je ne perds plus de temps là où j'en perdais beaucoup avant. Rien de définitif, mais un premier signe encourageant.
Je dévalise le supermarché dans l'idée de ne faire aucun autre arrêt aujourd'hui. Je prends vraiment ce qui me fait plaisir. Avec la chaleur qui commence à arriver, j'ai envie de fruits : 6 pêches, 500g de fraises, 2 bananes. Je complète avec 4 yaourts, 200g de jambon, 2 paquets de Haribo et une glace. Un bon ravitaillement comme on les aime. J'engloutis le jambon et les yaourts immédiatement avant de fourrer le reste dans ma musette et mes sacoches pour reprendre la route après un arrêt de près de 15 minutes.
La chaleur commence vraiment à taper. On reçoit un avertissement de l'organisation qui nous prévient que les températures plus au sud pourraient monter jusqu'à 38 degrés. Ça promet un après-midi sympa. Moi, la chaleur, je n'aime pas ça. Et effectivement, quelques heures plus tard, après la superbe traversée du plateau des Millevaches et une belle et longue descente en faux plat de presque 30 kilomètres, on plonge droit dans la fournaise, direction le Sud. Il est 14h et mon compteur annonce 36 degrés. C'est un véritable four.
La chaleur sape toute l'énergie que j'avais dans mes jambes. Je commence à peiner à fournir des efforts constants, ma vitesse diminue considérablement et je m'arrête à tous les cimetières pour m'asperger d'eau et remplir mes gourdes. Je dois consommer près d'un litre par heure. À Bugeat, au kilomètre 1005, j'ai exactement 10 minutes d'avance sur mes prévisions. Pour l'instant, je suis bien. Mais avec cette chaleur qui s'intensifie, je vais prendre du retard, c'est certain.
L'objectif initial était de tenter de rejoindre la base de vie à Montastruc (km 1322) pour y dormir. Ayant un dropbag là-bas, il y a beaucoup de temps à gagner à y dormir. Mais si tout se passe bien, j'avais prévu une arrivée à la base de vie vers 2h30. C'est déjà assez tard et un peu limite, mais avec la chaleur et les arrêts additionnels que cela implique, cela risque probablement d'être plutôt 3h-3h30. Mauvaise idée, trop risqué. Je décide donc de dormir dans un hôtel à 50 km de la base de vie, à Bioule. Je devrais y arriver vers 1h-1h30, c'est mieux et plus sûr. Je vais perdre du temps sur les transitions, mais au moins je vais bien dormir à l'hôtel et il est possible d'organiser un vrai repas qui sera laissé dans ma chambre. C'est pas plus mal, l'objectif du jour est fixé !
Je vis assez mal les heures qui suivent : trop d'arrêts, même si courts, une vitesse moyenne en baisse, mon avance va prendre un coup. Le parcours est parsemé de courtes mais dures montées que je passe difficilement. Je n'arrive pas du tout à profiter des paysages, ni de l'instant présent. En ce moment, c'est rien d'autre qu'un bel exercice de souffrance.
J'atteins mon moment le plus dur de la course jusqu'à présent en voyant le parcours que nous fait emprunter l'organisation à Yassandon. Un détour de presque 4 kilomètres, un aller-retour pour rejoindre un point de vue, avant de redescendre rejoindre la même route que l'on a quittée 300 m plus loin. Quelle torture ! Comme si qui que ce soit allait profiter de ce point de vue. C'est une course, pas une balade touristique. En plus, c'était une montée bien raide. Sur le moment, ça m'a rendu fou, et je me doute que je ne suis pas le seul ! Objectivement, c'est un beau point de vue, mais en tout cas, je n'en ai absolument pas profité.
Je continue ma pénible avancée vers le Sud en n'attendant qu'une chose : le soir et les températures plus fraîches. Avec ce genre de température, il est presque tentant de se reposer la journée et de rouler la nuit. Mais si j'ai appris une chose de ma RAF 2024, c'est qu'il vaut mieux éviter d'aller à l'encontre de son horloge biologique, c'est rarement rentable. J'aimerais essayer de me caler sur un rythme où je me couche tous les jours à la même heure pour dormir plus ou moins la même durée.
Donc pas de pause pour moi cet après-midi. En revanche, je craque et m'arrête à une boulangerie pour acheter des canettes bien froides et une pâtisserie. Ce n'était pas un arrêt nécessaire, juste un craquage auquel je n'ai pas su résister. Je glisse les canettes sous mon maillot au niveau de la nuque. Au moins, cela devrait m'aider un peu à supporter la chaleur.
Je passe Souillac vers 19h et fais mon chemin vers le parc naturel des Causses du Quercy, une superbe région. En passant Calès à 19h44, je constate effectivement que j'ai maintenant près de 45 minutes de retard sur mes prévisions. La chaleur et mes défaillances de l'après-midi m'auront coûté une heure, j'ai bien fait de réserver quelque chose avant la base de vie. J'y serais sans doute arrivé, mais j'aurais été dans un sale état. Better be safe than sorry.
Alexandre et Lucas ont bien rebouché le trou, ils sont revenus à 45min et 1h30 respectivement. Il va falloir que je me ressaisisse ce soir. Heureusement, la région des Causses est magnifique. J'oublie ma misère en me perdant dans les paysages, et quelques heures plus tard, je me sens déjà un peu mieux et mon rythme remonte légèrement.
Je me demande quelle va être l'approche des deux collègues pour la nuit à venir. Ça va être intéressant de voir comment ils gèrent cela. Alors que je passe Vers, où un autre groupe de personnes m'attendait pour m'encourager au bord de la route (Merci !!!), la nuit commence à tomber et au loin, j'aperçois des orages. Il a été annoncé qu'il y aurait des orages au nord de Toulouse en fin de soirée. J'espère que je vais pouvoir passer entre les gouttes et éviter le pire. J'espère en tout cas que je ne vais pas avoir à m'arrêter. Je ne rêve que d'une chose : en finir avec cette journée, arriver à mon hôtel, manger et dormir pour recommencer sur une page blanche le lendemain.
Alexandre s'arrête à Vers vers 23h30. Il est le premier à rendre les armes pour la journée, c'est assez normal, il était aussi le premier à partir ce matin. De mon côté, bien que cela devienne pénible, je n'ai aucun souci de lucidité. Je peux au moins continuer à avancer en maintenant une allure acceptable.
Lucas s'arrête un peu avant une heure du matin pour dormir dans le petit village de Cremps. À ce moment-là, j'ai 1h30 d'avance sur lui, exactement comme au réveil ce matin. L'écart était monté à presque 2h30 en fin de matinée. Match nul aujourd'hui, il va falloir recommencer demain.
De mon côté, j'arrive aussi vers 1h à mon hôtel à Bioule. Enfin cette deuxième journée prend fin! Elle se termine d'ailleurs de la meilleure des façons car je retrouve une entrecôte de 300g dans ma chambre. Oh oui, quel bonheur! Elle est froide, mais ça m'est égal, je l'engloutis en 5 minutes. Ça me remonte le moral tout en faisant le plein de protéines, ça devrait sauver mes jambes pour demain! Je passe à travers ma routine habituelle, dans le même ordre que la nuit précédente. Après un repas pareil, je m'endors avec le sourire. Au programme, comme la nuit passée, 3h de sommeil. Le réveil est prévu à 4h30.
Bilan statistique du jour: 430km et 7000m de dénivelé positif en 19h33 dont 18h30 sur le vélo. Ma vitesse moyenne sur la journée a été de 23,3 km/h. Niveau puissance, seulement 163 Watts de moyenne pour une puissance normalisée de exactement 200W. À ce stade, c'est plus ou moins normal. Mon objectif va être de maintenir ces 200W normalisés qui devraient me permettre de tenir mes vitesses moyennes prévues.
Un peu déçu d'avoir eu à m'arrêter 1h dans la journée, mais bon, au moins j'ai survécu à la chaleur, et je n'ai pas perdu de temps sur l'ensemble de la journée. Une journée de hauts et de bas, avec une superbe matinée sur le plateau des Millevaches et un après-midi d'enfer passé dans le four. Ah, les contrastes de l'ultra.
Euphorie et première bêtise en Auvergne
Le réveil sonne et j'entreprends la même routine que la veille. Quinze minutes plus tard, je suis sur mon vélo. J'ai bien dormi, je me sens presque reposé, frais. Lucas est reparti quelques minutes avant moi, l'écart est toujours de plus ou moins 1h30. Nouveau jour, nouveau match.
À ma surprise, Alexandre est toujours à l'arrêt et a été rattrapé par plusieurs autres participants. Il s'est pourtant arrêté plus tôt - stratégie ou problème ? J'espère que ça va pour lui ! J'essaie de vite trouver mon rythme, car Lucas semble être parti fort. Dans un peu moins de 2h, je serai à la base de vie où m'attend un dropbag avec de la nourriture et des habits propres. Il va falloir être efficace pour limiter la perte de temps.
J'arrive à la base de vie vers 7h du matin et suis, comme toujours, accueilli par les sourires et encouragements des bénévoles et organisateurs. Ça fait plaisir de bon matin. Je suis lucide, serein et me sens bien. Je me change pour mettre des habits propres, je mange un plat chaud, et j'en profite pour changer la chambre de mon pneu arrière que j'ai dû regonfler régulièrement car elle perdait un peu d'air.
Le tout me prend un peu plus de temps que prévu. Il est vrai qu'on s'attarde vite sur ces bases de vie - des visages familiers, des sourires, des échanges avec les organisateurs... Les minutes s'envolent, définitivement plus rapidement que sur le vélo ! Mais c'est chouette aussi, et ressourçant, d'avoir quelques interactions humaines.
Il y a notamment Éloïse, la femme d'Antoine, qui est là pour m'accueillir. C'est chouette de la voir ! Cette RAF, c'est une aventure pour elle aussi. Elle attend Antoine qui va arriver en fin de matinée ou début d'après-midi et qui apparemment a quelques soucis de dérailleur. Je crois qu'Éloïse a réussi à organiser la récupération d'un nouveau dérailleur afin qu'Antoine puisse le changer sur la base de vie. Elle est formidable. Elle est là pour Antoine, et pourtant, elle s'est quand même levée de bon matin pour venir m'accueillir. Quelle chance encore une fois, merci Éloïse.
Dans l'intervalle, Alexandre a repris la route après un arrêt de près de 6h30. J'apprends à travers l'organisation que c'est lié à une panne de réveil. Quelle poisse. Je suis tout désolé pour lui qui était super bien parti. Même avec 3h de sommeil en plus, je pense que ça va être difficile de reboucher le trou. Je ne peux qu'imaginer sa frustration en ce moment, mais bon, c'est encore très long, rien n'est joué.
Il me faut finalement près de 50 minutes avant de reprendre la route direction Clermont-Ferrand. Je quitte la base de vie une dizaine de minutes avant l'arrivée de Lucas - c'était important de partir avant qu'il arrive, ne serait-ce que psychologiquement. Je repars à bon rythme, déterminé à ne pas craquer aujourd'hui et à maintenir cet écart avec Lucas. Si jamais il devait me rattraper sur la route, ce serait un coup dur pour mon moral, et un énorme boost pour lui.
J'avais prévu de quitter la base de vie de Montastruc à 6h du matin, il est presque 8h au moment où je reprends la route. Entre les hautes températures d'hier et le fait que je n'ai pas dormi à la base de vie, j'ai pris 2h de retard sur mes prévisions. Ce n'est pas trop grave, au moins j'ai bien dormi, bien mangé, je suis toujours en tête, et je me sens bien !
L'objectif du jour est d'aller jusqu'à Clermont-Ferrand. En plus des 55 km que j'ai faits ce matin, il me reste près de 375 km jusqu'à Clermont où je prévois de dormir à la base de vie. Dans mes prévisions initiales, j'avais anticipé d'arriver à 00h15 à Clermont, je vais viser de combler une heure et d'y arriver à 1h15.
Lucas quitte la base de vie après un peu plus de 40 minutes d'arrêt vers 8h50, soit un peu moins d'une heure après moi. Lucas part comme un missile ! Depuis qu'il est parti ce matin, ça va très fort, j'espère qu'il va se calmer ! C'est souvent comme ça avec Lucas, il y a un ou deux moments dans la journée où il te met 30 minutes, et tu ne peux rien faire.
Il nous reste à peu près 200 km jusqu'à Aurillac avant de grimper dans le Massif Central où nous ferons l'ascension du mythique Puy Mary. Des orages sont annoncés dans la nuit, plus vite on passe les montagnes, mieux c'est. Les 200 km qui nous séparent d'Aurillac sont compliqués : beaucoup de courtes montées de 5-6 kilomètres à des pourcentages assez élevés, la journée va être usante.
Dans les points positifs, la région est magnifique ! J'en profite à fond car je sais déjà que cet après-midi, avec la chaleur, ça va être moins drôle. La traversée de la forêt domaniale de la Grésigne est vraiment superbe : de belles routes tranquilles, pas de voitures, une nature préservée, tout ce qu'on aime ! Mon rythme est bon, mais l'écart se réduit progressivement.
Si l'on regarde un peu le reste de la course, il y a un écart considérable qui commence à se creuser entre les 10 premiers et le reste de la course (presque 80 km !). Il avait été annoncé que la bataille à l'avant allait être intense, et c'est bien le cas. Nous sommes à la mi-course et il n'y a pas de surprise dans le top 10. C'est un vrai remake de 2024, mais avec un niveau globalement nettement plus soutenu. C'est chouette, c'est vraiment la bagarre entre copains.
Bien que la course soit encore longue, il semble doucement que cela va se jouer entre Lucas et moi. J'ai en ce moment presque 80 km d'avance sur Marc Arnold, qui a repris la troisième place suite aux mésaventures d'Alexandre, soit un peu moins de 4h. Il est improbable que Marc et les autres arrivent à passer le Massif Central avant les orages. Je pense qu'ils vont devoir s'arrêter à Aurillac cette nuit, ce qui les mettrait a priori sur un rythme où il devrait être difficile de combler l'écart avec Lucas et moi. Je spécule, mais cela semble être le scénario le plus probable à ce moment.
Dans les faits notables de ce début de journée, il y a l'abandon de Laurent Boursette qui a décidé de s'arrêter à la base de vie de Montastruc. Je n'ai pas tous les détails, mais il semble que ce soit en raison de douleurs et de soucis physiques. Je ne sais pas, en tout cas, c'est dommage et j'espère qu'il va bien.
Après quelques heures, le rythme de Lucas semble enfin baisser un peu, j'ai survécu au premier round du jour. Je donne tout ce que je peux dans les quelques vraies ascensions, je suis étonné de la puissance que j'arrive encore à tenir. Je me retrouve à rouler les ascensions au-dessus de 250 Watts, ce qui me permet d’empêcher Lucas de reprendre du temps.
Dans la journée, il y a une vraie bataille à distance qui commence à s'installer avec Lucas, c'est lui contre moi, et on le sait tous les deux. Une heure d'écart, ce n'est rien, on le sait aussi tous les deux. Je survis aux premières ascensions du jour et poursuis ma route vers Aurillac. Je me dis quand même que cette partie du parcours est étonnement dure, et a priori, c'est la moitié la plus simple de la journée, ça promet !
Je cambriole un petit Proxi à Marcolès vers 16h30 qui devrait me permettre de tenir jusqu'à Clermont, c'est mon dernier vrai arrêt de la journée. Je repars chargé comme un âne et me sens bien lourd dans les montées. Heureusement, quelques kilomètres plus loin, je suis rejoint par Cyril, un gars du coin qui suit la course de près et qui vient m'accompagner sur quelques kilomètres.
Un type super sympa, j'oublie le temps et les inconforts, ça fait plaisir de discuter et d'échanger. Cyril m'accompagne jusqu'à la sortie d'Aurillac, soit sur un plus ou moins 15-20 kilomètres. C'est génial ce genre de rencontre, je vais m'en souvenir. Il prévoit aussi d'aller retrouver Lucas, j'espère qu'il lui dira que je suis en pleine forme et que j'avance super vite…
On a parfois l'impression d'aller vite, mais c'est en roulant à côté de quelqu'un de reposé qu'on se rend compte qu'en réalité, on est vachement lent. Je sens que pour lui, c'est une promenade, alors que moi, c'est tout ce qu'il me reste, c'est drôle. Un énorme merci à Cyril d'être venu nous dire bonjour, c'est aussi ce genre de rencontre qui rendent ces courses aussi spéciales.
Aurillac passé, je me retrouve seul. L'itinéraire nous fait emprunter la route des Crêtes, une route absolument magique qui nous amène dans la région des Volcans d'Auvergne. La nature change, tout est plus vert, j'en profite pleinement. Au même moment, il y a un trail UTMB qui a lieu dans le coin, il y a plein de coureurs partout. Il y a aussi pas mal de personnes au courant que la RAF passe ici, je reçois beaucoup d'encouragements de personnes au bord de la route.
De plus, l'écart avec Lucas s'est recreusé un peu, il a dû faire un arrêt un peu plus long, car j'ai presque 1h15 d'avance, bonne nouvelle ! Cela ajoute à l'euphorie du moment. Je crois que je suis en train de passer mes meilleurs moments depuis le début de la course. Je ne sais pas vraiment pourquoi. Je crois que je suis dans le flow. Le temps passe vite, j'ai le sourire, je ne me sens pas fatigué, c'est génial.
C'est sur le point de devenir encore mieux car après être redescendu de la route des Crêtes, j'attaque l'ascension du Puy Mary depuis Mandailles, 12 km à 6%. Rien de trop méchant mais tout de même un vrai col avec quelques segments assez raides. Je commence la montée à 18h30 alors que le soleil commence doucement à descendre, il y a une lumière dorée, je suis tout seul, les paysages sont à couper le souffle.
J'en arrive même à pleurer de joie. Je suis tellement content d'être là en train de faire cela. C'est un moment spécial que je ne suis pas prêt d'oublier. Je pense d'ailleurs que je ne suis pas allé très vite car j'ai passé la montée à faire des vidéos, chanter, être perdu dans mes pensées, verser quelques larmes. Un moment figé dans le temps. Le vélo, c'est quand même chouette. Il me faut un poil plus d'une heure pour atteindre le sommet. Merci au Pas de Peyrol qui restera à tout jamais gravé dans mon cœur.
Il est 19h30 et il me reste 120 km parsemés de courtes et moyennes ascensions avant la base de vie de Clermont-Ferrand. Les 30 derniers kilomètres sont principalement en descente, ce qui devrait me permettre d'arriver vers 1h à la base de vie. La journée est allée plus vite que prévu, du moins jusqu'ici. Lucas passe au sommet 1h15 après moi, l'écart reste stable - jusqu'ici, c'est un vrai match nul.
Une vingtaine de kilomètres après le Puy Mary, je suis attendu au bord de la route par ma tante, Peet, qui habite dans la région à Allanches. Elle est venue me dire bonjour, et ça aussi, ça réchauffe le cœur. Je ne m'arrête pas vraiment plus de 30 secondes, j'espère qu'elle ne m'en voudra pas ! Je suis sûr qu'elle en a profité pour dire à ma maman que tout va bien, et effectivement, en ce moment tout va bien : je suis lucide, je me sens bien, je suis content, et il reste moins de 100 km jusqu'à Clermont.
Le prochain vrai col est le Col de Chamaroux, assez long, mais heureusement pas trop difficile. J'arrive au sommet vers 22h alors que la nuit commence à tomber. Je suis content d'avoir pu faire ce col tout en profitant encore des paysages à couper le souffle de l'Auvergne. Quelle région !
La nuit tombée, les choses commencent rapidement à se corser. Tout d'abord, au loin, au Nord de Clermont et dans la direction où je vais, je vois d'énormes orages. Ce n'est jamais rassurant, mais heureusement le vent semble souffler dans un sens favorable - je devrais pouvoir éviter le pire. La météo annonce que jusqu'à au moins une heure du matin, ils ne devraient pas passer au-dessus de Clermont. J'espère, car vu la violence des orages que je vois au loin, ça ne fait pas envie. J'aimerais bien éviter la douche juste avant une nuit à la base de vie. Je prends tout de même quelques petites averses, rien de bien méchant.
Alors que je roulais depuis un moment sans lunettes, quelque chose se loge dans mon œil gauche. Impossible de m'en débarrasser, j'ai un corps étranger bloqué sous la paupière. Je m'arrête à une fontaine, je rince abondamment, mais non, c'est toujours là. Quelle plaie ! C'est très gênant, plus encore mentalement que physiquement. Je peine à garder l'œil ouvert et il commence à pleurer. Ça va finir par sortir tout seul, mais je m'en serais bien passé.
Dans la foulée, mon humeur tourne. Je commence à en avoir marre. Je pensais que cette partie, a priori plutôt descendante, irait plus vite, mais en fait non - je suis de plus en plus lent. Sans doute une combinaison de plusieurs facteurs : la nuit, mon œil, la fatigue, le parcours... Peu importe, mais ces derniers 60 km jusqu'à la base de vie vont être très longs.
Je deviens fou quand, à Murol, au lieu de suivre la route principale, on nous fait emprunter une petite route dans un village qui nous conduit à un mur de quelques centaines de mètres à des pourcentages absolument ignobles. C'est cruel, très cruel. Ce mur vient à bout du peu de volonté qui me restait - j'en ai officiellement marre. Je vais vraiment devoir me traîner jusqu'à Clermont.
Les derniers kilomètres sont eux aussi jonchés de surprises. Autant j'ai trouvé une bonne partie du parcours super, là je remets vraiment en question les choix qui ont été faits au niveau du tracé. En redescendant sur Clermont, au lieu de suivre les routes principales, on fait des petits détours dans des ruelles de quartiers - ça monte, ça redescend, je ne comprends plus rien. Je suis peut-être biaisé car ma patience, à ce moment, est vraiment au plus bas, mais je suis quand même sûr qu'il y avait mieux à faire sur ce coup. Je suis vraiment fatigué, il est temps d'arriver.
J'ai bien traîné sur ces derniers kilomètres car j'arrive finalement seulement à 1h30 à la base de vie. Je ne pense pas que je vais réussir à combler le retard que j'ai sur mes prévisions jusqu'à la fin de la course. Ce n'est pas grave, c'était surtout important pour me donner un support et un fil rouge pour cette première partie de course. Pour les 900 kilomètres restants, c'est la course avec Lucas qui va dicter les choix, car il ne fait aucun doute qu'il va être impossible de s'en débarrasser.
J'arrive à la base de vie assez marqué et dans un état plutôt lamentable. La journée a été rude, mais finalement j'ai quand même fait 430 km avec près de 8000 m de dénivelé en 20h40, dont 19h03 de vélo, soit une vitesse moyenne de 22,6 km/h. C'est plutôt honorable. Niveau puissance, seulement 165 W mais tout de même 203 W normalisés, ce qui montre que j'ai tenu une puissance correcte dans les ascensions. Pour ce qui est des arrêts, 1h40 sur la journée, c'est beaucoup, c'est surtout à cause des 50 minutes passées à la base de vie. Le but de dormir à la base de vie était justement d'éviter de perdre ces 50 minutes.
Je ne le sais pas encore, mais c'était peut-être un mal pour un bien - je suis sur le point de découvrir que dormir en base de vie, ce n'est pas aussi bien que ça en a l'air... Mais bon, dans l'ensemble, c'est une journée dont le bilan est positif. L'année passée, Lucas m'avait mis presque 2h dans le Massif Central. Cette année, l'écart est resté stable. Si on m'avait dit que Lucas ne me reprendrait rien sur une journée avec presque 8000 m de dénivelé, j'aurais signé à deux mains.
De retour à Clermont, je dépose péniblement mon vélo et retrouve Éloïse qui est venue m'accueillir et qui m'a apporté quelques trucs à manger. Elle a également récupéré une commande de pâtes et de viandes que l'on a fait livrer à la base de vie. M'attendre ici à 1h30 du matin, alors que ce matin elle m’attendait encore a Montastruc… C'est vraiment la meilleure. Je pense que j'ai encore une fois du mal à lui montrer ma gratitude parce que je suis vraiment pas dans le meilleur des états - les deux dernières heures sur le vélo ont été rudes et je les ai assez mal vécues. Mais wow, quel soutien, dur de trouver les mots…
À ma surprise, je retrouve aussi ma cousine, Solène, qui fait ses études à Clermont. Je ne m'y attendais pas du tout, c'est chouette de la voir. Un peu pris de court, je ne sais pas trop quoi dire et ne suis pas très cool, je ne prends pas le temps de discuter avec elle. Entre mon état et mon empressement d'aller dormir, j'ai un peu la tête ailleurs. Mais cela me fait plaisir de la voir.
Finalement, cela m'était presque sorti de l'esprit, mais j'ai aussi un petit colis qui a été livré pour moi à la base de vie, remis par les bénévoles a mon arrivée. C'est une lampe de rechange livrée samedi dans la journée par Guillaume Ringot, le gars qui tient la boutique de vélo "La Roue Dynamo". Il y a quelques mois, j'ai commandé une lampe Sinewave Beacon chez lui. La lampe est absolument super, mais la veille de la course, j'ai réalisé que le mode pleine lumière avait un défaut et ne fonctionnait plus - un problème de bouton. Embêtant mais pas dramatique ; j'avais simplement décidé au dernier moment de prendre une lampe supplémentaire, et je pouvais toujours utiliser le mode "low light" qui éclaire un peu, mais franchement pas beaucoup. Il faut deux lampes pour être tranquille.
Je me suis rendu compte que La Roue Dynamo n'est pas très loin de Clermont-Ferrand. Du coup, le jour du départ, j'ai appelé Guillaume pour voir avec lui s'il serait possible de faire livrer une nouvelle Sinewave Beacon sur la base de vie de Clermont avant mon arrivée dans la nuit de samedi à dimanche. Non seulement il me dit que c'est possible, mais en plus il propose même d'aller la déposer lui-même... à vélo. Incroyable.
J'ai vraiment de la chance d'être aidé par tant de personnes pendant ces aventures, cette année encore plus que les autres. C'est vraiment une chouette bulle pleine de belles personnes prêtes à venir en aide pour un rien. Un grand merci à Guillaume - si jamais vous avez besoin d'un setup dynamo, c'est la bonne adresse ! Il me faudra faire un peu de bricolage maintenant, mais cette lampe va m'être plus qu'utile pour le reste de la course. Dans son petit colis, il a aussi laissé un petit pot de crème pour les zones sensibles. Il a dû lire dans mes pensées car je commençais gentiment à en être à court. Je lui en dois une !
Toujours à la base de vie, je termine de manger à côté d'Éloïse qui me tient compagnie. Elle est bien brave parce que je dois être d'assez mauvaise compagnie en ce moment. Je traîne un peu, mais je me convaincs finalement d'aller préparer mon vélo et mes affaires. Je décide en revanche de repousser le bricolage et le changement de lampe au lendemain matin - j'ai besoin de dormir et il ne faut pas que je traîne. Je pensais que Lucas s'arrêterait dormir quelque part avant la base de vie, ce n'est pas dans ses habitudes de rouler jusqu'à 2h30 du matin, mais il a l'air d'être en route pour la base de vie, lui aussi. On va être au même endroit, il faut vraiment que je dorme avant qu'il arrive. Je remercie Éloïse et je m'en vais dormir. Ou du moins, c'est ce que je pense encore à ce moment-là...
le revers d'une nuit sans repos
Le bénévole me montre le chemin des dortoirs. Je me dis qu'il serait préférable de ne pas dormir dans un dortoir où Lucas va aussi arriver sous peu. Non seulement il risque de me réveiller en arrivant, mais je risque aussi de le réveiller en partant. Je demande donc si je peux déplacer un des lits et dormir dans un vestiaire. Le bénévole me dit que ce n'est pas un souci et m'amène dans un vestiaire où je peux dormir seul.
Je ne remarque pas à ce moment-là, mais il y a une grande fenêtre au plafond... et je réalise que j'ai oublié mes boules Quies. Il va falloir que je m'endorme vite, sinon je vais vraiment être gêné par l'arrivée de Lucas. Et dans les vestiaires, tout résonne.
Je m'allonge sur le lit de camp et me dis assez rapidement que j'ai fait une erreur en venant dormir ici. Je tiens à peine dans ce lit, trop grand pour être confortable. Je ne me sens pas bien, mon cerveau s'agite sans cesse. Je ne suis pas dans ma bulle habituelle et je peine à m'endormir vraiment, naviguant entre sommeil léger et éveil.
Finalement, je suis réveillé par l'arrivée de Lucas, ce qui n'aide pas mon cerveau à se détendre. Après quelques allers-retours, Lucas va se coucher, j'imagine au dortoir. J'essaie à nouveau de m'endormir, mais cette fois, un énorme orage éclate. Avec cette vitre au plafond et la pluie battante, impossible de trouver le sommeil.
Ce n'est pas bon du tout. Il est 4h, cela fait déjà presque 2h que je me suis couché, et je n'en retire aucun bénéfice. Je ne sais pas quoi faire. Je suppose que Lucas dort dans le dortoir et qu'il va encore dormir environ 2h. Que faire? Si je reste, rien ne garantit que je dormirai, encore moins que je dormirai bien. Si je repars sans avoir dormi en même temps que Lucas, je vais me faire dévorer tout cru.
J'en conclus finalement que ma meilleure option est de reprendre la route au plus vite. Je sais que cela signifie que je vais passer une journée horrible, que je n'avancerai pas efficacement, que je serai un cadavre sur le vélo et que je ne profiterai pas du parcours. Mais au moins, je peux partir 2h avant Lucas et garder la possibilité de faire quelques siestes quand ce sera nécessaire - et il ne fait aucun doute que ce sera nécessaire.
Quelle erreur stupide! J'étais dans un bon rythme, avec une bonne gestion, et je viens de tout casser. Plusieurs personnes, dont Rémy, le spécialiste du sommeil qui me suit de près, m'avaient prévenu que dormir à la base de vie n'était peut-être pas la meilleure idée. Ils avaient raison. J'ai tout planifié jusqu'aux moindres détails, et je laisse passer un truc comme ça. Une bonne leçon.
Je quitte mon lit de camp de mauvaise humeur, les pensées très négatives. Ça annonce la couleur de la journée qui arrive... Avant de pouvoir repartir, il faut encore que je change la lampe de mon vélo. Les bénévoles présents sur la base de vie sont super sympa; je pense que je dois leur répondre assez froidement, ce pour quoi je suis désolé, mais je ne peux m'empêcher d'avoir le sentiment d'avoir gâché une course qui était jusqu'ici très bien gérée.
Il va falloir que je me reprenne vite, sinon ça ne va pas aller. L'exercice de bricolage à 4h du matin m'aide bien à me concentrer sur autre chose. L'orage continue, mais il devrait s'arrêter dans 15-20 minutes, après quoi je pourrai partir. Finalement, je reprends la route à 4h30, fatigué et le moral en vrac après une nuit catastrophique du point de vue de ma course.
Game over? La douloureuse traversée de l'Ardèche
Je reprends la route dans la pire humeur possible sur des routes encore trempées à cause des grosses averses qui viennent de prendre fin. Je suis hanté de pensées négatives et après seulement quelques dizaines de minutes, je suis rattrapé par la somnolence, mes yeux se ferment. Je sais que ça ne sert souvent à rien de rouler comme ça, mais je crois qu'aujourd'hui je n'ai pas le choix, il va falloir lutter si je veux maintenir une petite chance. Mais les choses ne s'arrangent pas et moins de 45 minutes après être reparti, je m'arrête à un arrêt de bus pour fermer l'œil. Rien ne va plus. Je prends de mauvaises décisions, après à peine 15 minutes, sans avoir vraiment dormi, je repars. C'est le bordel dans ma tête, je suis vraiment perdu et je me torture pour chaque décision. 10 kilomètres plus tard, je m'arrête à nouveau pour m'allonger dans un abribus où je passe aussi 15 minutes sans trop savoir pourquoi je fais ça ou ce que ça va m'apporter. Ça ne sert pas à grand-chose car je ne dors pas vraiment.
Lucas reprend la route un peu après 6h du matin, soit 1h30 après moi. Je ne donne pas cher de ma peau. Entre mes innombrables arrêts et le différentiel de vitesse qui va être considérable, je sais qu'il va me rattraper. Je peux mettre le plan pour le reste de la course à la poubelle, va falloir improviser. L'écart fond en effet comme neige au soleil, Lucas doit le voir, et doit sûrement s'en régaler. Mon état ne s'améliore pas. Après 70km, à 8h du matin, je décide de m'arrêter dans un parc à Saint-Germain-l'Herm pour y dormir une heure. Ces siestes ne m'apportent rien, mais il faut que je m'achète un minimum de capital sommeil si je veux ne serait-ce que survivre à la journée. Je devrais repartir plus ou moins au moment où Lucas va me rattraper.
Je ne dors pas vraiment bien, notamment parce que mes habits sont mouillés et qu'il fait bien humide, mais au moins je me repose un minimum. Après une petite heure, je repars, le moral toujours en vrac. Dans le même village, il y a un petit supermarché que j'avais repéré qui vient d'ouvrir. Il est important celui-là car aujourd'hui c'est dimanche, et la partie à venir du parcours est particulièrement dépourvue en ravitaillement. En arrivant au supermarché, je vois... le vélo de Lucas! Il ne sait pas que je suis là. J'entre dans le supermarché, on se croise dans un rayon, il sourit, lance un gros "hey!" et on se prend dans les bras. C'est un moment complètement insolite, on n'en revient pas vraiment de se croiser là après une longue et déjà bien éprouvante bataille à distance. Je suis content de le voir.
On fait tous les deux nos courses sans se presser, comme si le fait de se croiser avait, dans l'immédiat, retiré le sentiment d'urgence et d'empressement qui régnait, du moins pour moi, depuis Montastruc. Sans qu'on ait besoin de le dire, il y a comme une petite trêve provisoire qui s'installe. On va même jusqu'à s'asseoir par terre devant le supermarché pour prendre le petit déjeuner. Je n'avais encore pas une seule fois pris le temps de m'arrêter pour manger autre que le soir avant de dormir ou sur les bases de vie, et ça fait quand même plaisir, surtout en bonne compagnie.
On échange sur les aventures de ce début de course et notamment sur la nuit qui vient de passer. Il n'a lui aussi pas très bien dormi, mais au moins il a fermé un peu l'œil. Il pointe que l'oubli des boules Quiès est une grosse erreur de débutant, je ne peux qu'être d'accord. Il a quelques soucis avec ses pieds qui le gênent beaucoup, il a changé de chaussures deux semaines avant la course. Je souligne que ça aussi, c'est une erreur de débutant, il est d'accord. C'est un chouette moment, et qui va me réinsuffler un peu d'énergie et, surtout, de positivité dont je manquais cruellement.
Quand on y pense, c'est quand même assez génial, et presque unique. On est là, les deux leaders de la course qui se livrent une bataille acharnée depuis plus de 3 jours, au milieu d'un petit village de France, un dimanche à 9h du matin, assis par terre, en train de discuter tranquillement en mangeant nos yaourts avec les doigts. C'est super que cela puisse même arriver. Cela n’arriverais certainement pas dans beaucoup d’autres sports. Après une bonne dizaine de minutes, on reprend la route ensemble et je m'accroche tant bien que mal au rythme de Lucas, le rejoignant parfois pour échanger quelques mots.
Cela va durer une bonne heure et demie jusqu'à ce que nous soyons rattrapés par la pluie et que, sur une petite route sinueuse, j'évite la chute de justesse suite à un freinage d'urgence qui me fait légèrement sortir de la route. Petite montée d'adrénaline du matin, mais tout va bien, du moins c'est ce qu'il semble. Quelques minutes plus tard, la pluie s'intensifie jusqu'à être biblique et nous sommes pris dans un gros orage. Au même moment, je réalise que, sûrement en sortant de la route quelques minutes auparavant, j'ai crevé mon pneu avant. Mince. Bon, au moins ça va me permettre d'éviter de rouler sous cette énorme averse. Lucas ne s'arrête évidemment pas et prend le large. Il me faut une dizaine de minutes pour réparer cela et reprendre la route.
Nous venons de traverser le parc naturel Livradois-Forez. Ça avait l'air super, mais entre mon état, les longues ou raides ascensions et la météo, je dois avouer que j'ai eu du mal à en profiter. Prochain arrêt, la Haute-Loire qui devrait nous offrir une quarantaine de kilomètres de plat et de répit avant de traverser le parc naturel des Monts d'Ardèche qui présente une longue ascension qui s'annonce pour moi difficile. En redescendant sur, je repasse devant Lucas qui s’est arrêté quelques minutes, mais il repart vite et me rattrape déjà une trentaine de kilomètres plus tard alors que l'on s'attaque à l'Ardèche.
Je sens que je commence à avoir un nouveau coup de moins bien, je recommence à sombrer. Lucas le sent aussi, il impose un rythme que je n'arrive pas à suivre et je le vois s'éloigner mètre par mètre au loin. À mi-chemin d'une montée irrégulière de plus ou moins 15 kilomètres jusqu'aux Estables, je me vois encore une fois contraint de m'arrêter faire une sieste car je commençais encore une fois à m'endormir sur le vélo. Je m'allonge 15 minutes sur un banc dans un petit parc en bord de route, c'est déjà mon 4ème arrêt du jour, ça commence à faire beaucoup...
Je repars pour attaquer les 10 derniers kilomètres de la montée. Aux Estables, je suis accueilli par un gars dont je ne connais plus le nom, il a accueilli Lucas au même endroit 20 minutes plus tôt. On discute un petit moment, il a fait la RAF il y a quelques années et sa belle-famille habite ici aux Estables. Il voit que je ne suis pas bien et me propose d'aller faire une sieste chez sa belle-famille. Tentant, très tentant... Mais il ne faut pas que je craque trop, j’ai déjà assez craqué pour aujourd’hui. De plus, pas sûr que ce soit très légal comme assistance. Je ne vous dis pas à quel point c'est dur de refuser une proposition comme ça.
Lucas a 20 minutes d'avance quand je reprends la route. Mais les ascensions ne sont pas finies, et je vais toujours aussi lentement. J'arrive finalement au Mont Gerbier de Jonc à 1417m d'altitude. J'y découvre un petit marché et comme déjà trop souvent aujourd'hui, je craque et je m'arrête. J'achète des tartes aux abricots (délicieuses) et en profite pour acheter quelques petites choses pour le reste de la journée. Je m'assieds pour manger mes tartes, et à ce moment, je craque complètement et fonds en larmes.
Hier c'était l'euphorie en Auvergne, aujourd'hui c'est le désespoir en Ardèche. En ce moment même, je suis au fond du trou et je ne suis pas trop sûr de quelle doit être la stratégie et mon approche pour le reste de la course. Je ne sais pas comment je vais rattraper Lucas. Il est déjà certain que l'écart va encore considérablement se creuser aujourd'hui, mais surtout, il reste la partie la plus difficile du parcours pour terminer la course avec les ascensions de cols mythiques comme la Montagne de Lure et la Cime de la Bonette. Vous le savez, je ne suis pas un grimpeur, comment vais-je rattraper Lucas sur ce terrain? Ça me semble impossible. À ce moment, je suis convaincu que je ne gagnerai pas, que c'est fini pour moi.
Est-ce que je ferais mieux de sécuriser la 2ème place? Alexandre semble bien remonter, il a repris la troisième place et se tient actuellement 4h derrière moi. Que faire? Je ne sais pas. Avec ma fatigue et ma lucidité vacillante, je ne suis pas dans la meilleure posture pour prendre une bonne décision. J'appelle Loïc, déjà au courant de ma situation, pour discuter de la suite de la course. Il suggère que si ça ne va vraiment pas, je pourrais aller dormir maintenant (il est 16h) dans l'hôtel le plus proche pour 3-4h et ensuite rouler de nuit.
Tentant... mais rouler de nuit pour le reste de la course? Quel enfer. Après réflexion, cela ne me semble pas une stratégie viable. C'est un choix avec un bénéfice à court terme, mais la course est à mon avis encore trop longue pour que cela paie. Il reste quand même encore plus de 700km, ça fait beaucoup. Mais, pas très lucide, l'idée d'un confort immédiat et d’un bon lit prennent le dessus et j'appelle Greg pour discuter des meilleures options d'hôtel sur les 30 prochains kilomètres. Il me dit qu'il va vérifier et qu'il revient vers moi rapidement. On raccroche. Et je réfléchis quelques minutes.
Plus j'y pense, plus je me dis que c'est une mauvaise idée. Je me dis que rouler toute la nuit c'est pire que rouler encore plusieurs heures maintenant, surtout que je suis au point le plus haut de l'Ardèche et que le plus dur de la journée est fait. A ce stade, au vu de mon état actuel, comment je termine la course au plus vite?
J’en conclus finalement que ma meilleure option, et unique petite chance de gagner, est de forcer encore un peu aujourd'hui pour aller dormir 3-4h dans un hôtel juste assez loin pour que j’ai une chance de parvenir à faire tout le reste de la course d'un seul coup.
Il faut que je limite tant que possible le nombre d'heures que je roule aujourd'hui car je suis tout sauf efficace, mais il faut tout de même que j’avance suffisamment pour atteindre un point depuis lequel il serait faisable de terminer la course d’une seule traite. Bon, je rappelle Greg et on discute des options. On se dit que pour avoir une chance de finir d'un coup, il faut en tout cas qu'il reste moins de 600km
En sachant que sur les derniers 600km, il reste 12000m de dénivelé positif, et en comptant 2h d'arrêt, il me faudra probablement 31h pour les parcourir. 31h d'un coup, à la fin d'une course comme celle-ci, et après la journée que je suis en train de passer, ça va faire beaucoup. Bref, il faut au moins que j'aille jusqu'au km 2000. L’objectif du jour sera Vaison-la-Romaine au km 2023. Cela implique de rouler encore 140km, soit à peu près 6h au vu du parcours et de mon état, soit jusqu'à 21h30-22h. Encore 6h, ça me paraît long. Ça promet d’être terrible.
Mais je me convaincs progressivement que c'est ma seule chance de gagner et que rien n’est encore perdu. Une lueur d’espoir commence à naitre. C’est exactement ce qu'il me fallait pour me remobiliser un minimum. Je visualise le nouveau plan improvisé qui est le suivant:
- Rouler 140km en 6h jusqu'à Vaison-la-Romaine
- Dormir 3 ou 4h à l'hôtel
- Rouler 580km et 11'800m de dénivelé positif en 30-31h (en incluant 2h d'arrêts) pour terminer la course d'un coup en espérant que Lucas craque sur la fin
Cela impliquerait de terminer la course vers 7-8h du matin en à peu près 132h30, soit 5 jours 12 heures et 30 minutes. La course va se jouer la dernière nuit et je sais que Lucas n'aime pas rouler la nuit. Ma seule chance est que je puisse rester suffisamment proche afin de le mettre sous pression la dernière nuit et qu'il craque. Encore faut-il que je tienne moi jusqu'au bout, ce qui est loin d'être garanti. Mais j'entrevois un scénario qui paraît certes improbable, mais malgré tout possible. En tout cas, c’est certain, c’est ici ma seule chance. C'est décidé, voilà le nouveau plan et la stratégie pour cette fin de course. Ce sera tout ou rien.
Je suis content d'avoir réussi à me ressaisir après avoir frôlé une capitulation irrémédiable. Je m'en serais terriblement voulu. Je m'éternise par écrit, mais en réalité tout cela s'est passé en un peu moins de 15 minutes.
C'est finalement avec un peu plus d'espoir et un nouveau plan auquel m'agripper que j'attaque la longue descente direction la Provence. Lucas a presque 50 minutes d'avance, alors que j'avais 1h15 d'avance encore hier soir. Le bilan de la journée ne va pas être plaisant. Une vraie mauvaise opération. À ce stade de la course, et cela malgré ma petite re-mobilisation, je ne parierais pas sur moi. Et pourtant je m'agrippe à ce maigre espoir. Autant tout essayer jusqu'au bout. Je suis aussi là pour ça, pour me mettre à l'épreuve, tester mes limites et ma résilience.
Il ne faut pas lâcher, il faut que je convainque mon corps et mon cerveau de collaborer encore un moment, c'est de plus en plus dur de les garder de mon côté, la résistance commence à se faire forte. Dans la descente, je souffre et dois tout donner pour rester éveillé et concentré sur la route. Je suis lent, même en descente. Mais la situation commence à s'améliorer petit à petit, et alors que j'arrive au pied d’une courte mais raide ascension avant une de reprendre la descente vers la Provence, je constate avec surprise que Lucas s'est arrêté faire une sieste.
Il doit aussi passer une sale journée pour s'arrêter dormir à 16h. Je me plains de ma nuit et de ma situation comme si la terre s'était arrêtée de tourner, mais je ne suis pas sûr que sa situation soit beaucoup mieux. Ça doit être dur aussi de son côté. Il a parfaitement gérer le timing de sa sieste car il repart moins de 5 minutes avant que je le rattrape, ce n'est pas un hasard, il a fait le calcul afin de repartir juste avant que je le rattrape. Il est fort, et repart évidemment plus vite que moi. L’écart se creuse à nouveau.
Cet écart va se stabiliser autour des 20 minutes alors que nous traversons le Rhône pour entrer en Provence. Et qui dit Provence, dit chaleur. C'est un vrai four ici. Mais je suis content d'arriver dans le sud, ça marque la fin de l'Ardèche qui aura été un passage difficile pour moi. La Provence, c'est beau. Bien que j'aie peiné aujourd'hui, les paysages des derniers jours étaient incroyables. La transition de l'Auvergne à la Haute-Loire, aux Monts d'Ardèche puis à la Provence en moins de 24h, c'est assez fou. Tellement de diversité dans les paysages. C’est quand même beau la France.
L'écart avec Lucas semble s'être stabilisé à 20-30 minutes, la casse a été limitée. Il me reste une dernière petite bosse de 4 kilomètres à passer avant de redescendre sur Rasteau et n'avoir plus que 15 kilomètres jusqu'à Vaison-la-Romaine. On n'est pas très loin de l'endroit où j'ai abandonné l'année passée, et on voit le majestueux Mont Ventoux, que j'aurais dû gravir l'année passée. Heureusement, il n'est pas au menu cette année.
Je parviens presque à profiter de ces derniers kilomètres en Provence, la fatigue et la mauvaise humeur m'offrent un bref répit, le soleil descend à l'horizon, les champs de lavande, les oliviers, c'est beau. J'arrive finalement à 21h15 à mon hôtel. Je serais bien allé plus loin, s'arrêter aussi tôt est loin d'être idéal, mais au vu de ma journée, de mon état, et de ma vitesse sur le vélo, il faut que j'enterre cette sale journée et que j'aille dormir.
Dans ma chambre, un beau pavé de bœuf fraîchement cuisiné m'attend, de quoi me refaire une santé avant la monstruosité qui m'attend: 580km et presque 12'000m de dénivelé… Ça promet... Lucas, quant à lui, poursuit évidemment sa route. Il va probablement rouler jusqu'à 1-2h du matin et je suppose qu'il va dormir juste avant La Montagne de Lure, un gros col de 26km à 4.5%, souvent surnommé le "Mini Ventoux". C'est un massif des Préalpes de Haute-Provence, situé entre le Mont Ventoux et le Luberon. Quelle ironie de surnommer un col de 26km "mini"…
Pour Lucas, il restera plus ou moins 500km à parcourir pour rejoindre l'arrivée. On sait tous deux que c'est la dernière “vraie” nuit de la course, car si les choses ne se passent pas trop mal, on devrait arriver mardi au petit matin à Mandelieu. C’est bel-et-bien demain que tout va se jouer.
Bien que j'ai finalement réussi à limiter la casse, mais je peine toujours à réelement croire en mes chances. Le parcours de cette fin de course est vraiment difficile, et les cols, ce n'est vraiment pas mon fort. Je ne sais pas du tout comment je vais faire pour boucher le trou ou encore tenir jusqu’au bout. Ce qui est sûr, qu'il va me falloir une vraie défaillance de Lucas pour avoir ne serait-ce que la moindre chance. Je prévois cette fois de dormir 4h, le réveil est prévu à 1h45 du matin, pour un départ à 2h. Je me couche, et m'endors immédiatement.
Le bilan de cette triste et petite journée: seulement 321 kilomètres avec 4500m de dénivelé positif. Ouch. C'est encore plus flagrant en regardant les watts, 147W de moyenne sur la journée et 183W normalisés, soit à peu près 10-15% de moins que les derniers jours, ça montre à quel point le sommeil joue un rôle clé. Pourtant, je me suis arrêté beaucoup plus que tous les autres jours, je n'ai fait que 13h58 de vélo en 16h41, soit près de 3h d'arrêt sur la journée alors que normalement, je tourne plutôt aux alentours de 1h-1h30 par tranche de 24h.
Duel final à travers le Mercantour
À ma surprise, je me réveille presque une heure trop tôt, vers 1h du matin. Cela ne sert à rien d’essayer de se rendormir, tant pis pour l'heure de sommeil supplémentaire. Ce n'est finalement peut-être pas plus mal comme ça. Je me prépare rapidement et vers 1h10, je reprends la route, déterminé à tout essayer jusqu’au bout. Les tourments de la veille semblent être passés. Tant mieux. Lucas s'est arrêté dormir au pied de la Montagne de Lure vers 00h30, j'imagine qu'il va dormir entre 3 et 4h. Alexandre vient tout juste de s'arrêter dormir et il n'est quant à lui plus qu'à 50 kilomètres de moi. Je ne pense pas qu'il va pouvoir revenir, mais il semble en tout cas avoir plus ou moins sécurisé sa place sur le podium. Quant au reste de la course, il n'y a actuellement encore que 12 coureurs qui ont passé la base de vie de Clermont. Il y a presque 400km d'écart entre le premier et le treizième, c'est assez fou. Le top 10 s'est vraiment détaché du reste de la course. De la place 4 à 8, c'est extrêmement serré. J'espère que c'est Antoine qui va aller chercher cette 4ème place !
Je reprends la route à un bon rythme. J'ai 3 petits et moyens cols à passer avant la Montagne de Lure, et je parviens à les monter à une bonne allure dans le silence de la nuit. J'aurais bien aimé être ici en plein jour car ça a l'air fabuleux. Je reviens à 30 minutes de Lucas quand il reprend la route vers 4h30 du matin. Il s'est arrêté près de 4h et a du dormir plus ou moins autant que moi. Mais je roule déjà depuis un peu plus de 3h et j'ai essayé de tenir un rythme soutenu pour réduire l'écart, ce qui n'a pas vraiment été le cas car, comme hier soir, il a toujours 30 minutes d'avance.
J'attaque la longue ascension de la Montagne de Lure vers 5h du matin, déterminé à tenir le rythme de Lucas, mais celui-ci va monter comme un enragé. Il ne lui faudra que 1h44 pour rejoindre le sommet (15km/h). Rien de bien fou en temps normal, mais sur un 5ème jour d'ultra, à 5h du matin, il y en a vraiment pas beaucoup sur cette terre qui arrivent à faire ça. Quant à moi, j'ai un gros coup de mou dans la montée et il me faut 2h05 pour arriver en haut. Il m'a mis plus de 20 minutes dans un seul col, alors qu'il venait tout juste de se lever. C’est fou. Je n’ai même pas été si lent car Alexandre va plus tard mettre 2h06 pour monter. Quel animal ce Lucas, c'est quand même dingue comme il est fort.
Le voilà qui a une heure d'avance alors que l'on se dirige vers Digne-les-Bains, où notre deuxième et dernier dropbag nous attend. Heureusement, après la Montagne de Lure, il semble calmer un peu son rythme. Dans la descente, je me retrouve à devoir lutter contre le sommeil. Déjà ? Ça promet pour la suite, il me reste 460km avec un peu moins de 9000m de dénivelé à rouler…
Lucas arrive à la base de vie vers 8h30 et en repart vers 9h20 après un arrêt de 50 minutes. J'y arrive vers 9h40. Ce qui est chouette quand on est à l'avant de la course, c'est qu'on est souvent seul sur les bases de vie et tous les bénévoles sont aux petits soins. Je suis encore une fois super bien accueilli, je récupère la nourriture que j'ai laissée dans mon dropbag, je me change pour des habits propres, je mange un plat chaud et vers 10h10, après un peu plus de 30 minutes, je reprends la route 20km derrière Lucas.
C'est ici que la bataille finale commence, avec encore exactement 405km à parcourir à travers les Alpes Maritimes et le Mercantour. À ce stade, il est peut-être important de rappeler que je suis parti après Lucas, ce qui est un petit avantage, car si jamais on arrive ensemble, j'aurais techniquement 5 minutes d'avance. Bon, je ne pense pas qu'on en arrivera là, mais en gros, il doit finir au moins 5 minutes avant moi !ca
En repartant de Digne-les-Bains, je me sens étonnamment bien et optimiste. Nous sommes au cœur des montagnes maintenant. Je grimpe le premier col à bon rythme, maintenant l'écart avec Lucas inchangé. La chaleur est présente mais supportable, bien loin de la canicule des jours précédents. J'ai une pensée pour les coureurs encore loin derrière nous qui devront affronter la hausse des températures annoncée pour les prochains jours.
Après quelques courtes ascensions, j'attaque le col de Fontbelle qui présente par endroits des pourcentages assez raides, mais je maintiens un bon rythme. Dans la montée, je suis encouragé au bord de la route par Jean-Michel Bayle, grande légende de la moto, qui avait également pris le départ de la course mais a depuis abandonné. La descente s'avère délicate avec une route couverte de gravillons exigeant une vigilance constante. Après Sisteron, nous remontons vers le lac de Serre-Ponçon avant de prendre la direction de Barcelonnette et Jausiers, point de départ de la Cime de la Bonette — le grand sommet de cette édition 2025. Malgré tous les efforts fournis au cours de la journée, l'écart avec Lucas demeure pratiquement inchangé.
Après une longue journée de bataille, Lucas arrive à la dernière base de vie de Jausiers, située au pied de la Cime de la Bonette. À partir de là, il reste 250 kilomètres jusqu'à Mandelieu en commençant avec les 24 km et 1600 m de dénivelé de la Cime de la Bonette culminant à 2800 m d'altitude. Une ascension si longue, à une telle altitude, à ce stade de la course, ça va faire mal, très mal.
De mon côté, je fais un petit arrêt dans une station-service à Barcelonnette pour acheter des glaces et de quoi tenir jusqu'à l'arrivée, puis j'arrive à mon tour à la base de vie vers 17h45. Je me sens toujours étonnamment bien. Accueilli par deux bénévoles, je grignote rapidement, remplis mes bidons et prends quelques provisions supplémentaires avant de m'attaquer, après seulement 15 minutes de pause, à ce géant des Alpes. Lucas est reparti à 17h30, et moi vers 18h00. Je me suis arrêté moins longtemps que lui – apparemment, il s'est un peu pressé pour partir avant mon arrivée, ce qui n'est pas dans ses habitudes, lui qui aime habituellement prendre son temps.
Trente minutes, voilà l'écart qui nous sépare à 250km de l'arrivée. C'est impressionnant et assez rare de voir une course encore aussi serrée à ce stade. Il ne fait plus aucun doute maintenant que la victoire se jouera entre Lucas et moi. Alexandre est à Sisteron environ 100km derrière nous. La troisième place lui semble être assurée car les autres concurrents, dont Antoine fait partie, arrivent tout juste à Digne-les-Bains.
La Bonette ne sera pas le théâtre final de cette bataille, car il reste encore beaucoup de route. Mais si Lucas reproduit sa performance de ce matin en me reprenant 30 minutes, je me retrouverai avec une heure de retard — un écart qui serait presque impossible à combler durant la nuit. Maintenir l’écart serait déjà un succès car le réduire me semble tout simplement impensable. Heureusement, l'ascension se présente sous les meilleurs auspices : la température devient plus clémente, la lumière du soir est sublime, la route est déserte, et je me retrouve seul face à ce panorama grandiose. Sans couverture réseau dans la montée, je ne peux même pas suivre l'évolution de notre écart, ce qui me permet de déconnecter un moment et profiter pleinement.
C'est alors mon deuxième grand moment d'euphorie de la course, rappelant l'ascension du Puy Mary deux jours plus tôt en Auvergne. Les étoiles s'alignent et je savoure pleinement l'instant présent. Je maintiens une puissance d'environ 230-240W tout au long de la montée — pas si mal. Je profite de chaque mètre parcouru. Je suis seul au monde avec les marmottes — je vous assure, je n'hallucine pas, elles sont vraiment partout. Le cadre est absolument exceptionnel. Quelle chance de ne pas faire cette ascension de nuit ou en pleine canicule.
Soudain, à quelques kilomètres du sommet, mon téléphone capte du réseau et se met à vibrer sans arrêt. Je reçois au moins 40 messages m'informant que je reviens sur Lucas. Impossible. Je réalise d'abord combien de personnes suivent notre duel — vous êtes géniaux, merci beaucoup ! Lucas doit rencontrer des difficultés pour que je regagne du temps sur lui. Je ne vais pas particulièrement vite ; normalement, c'est un rythme qu'il tiendrait sans difficulté. Est-ce un premier signe de défaillance ? J'apprendrai plus tard qu'après avoir mangé trop rapidement à la base de vie, il souffre de problèmes d'estomac qui le ralentissent considérablement.
En approchant du sommet, là où nous devons encore faire la boucle pour rejoindre la cime, j'aperçois Lucas qui redescend de l'autre côté. L'écart ne doit pas dépasser 15 minutes — je suis vraiment proche. Cette vision me donne un regain d'énergie. Les derniers 500 mètres vers la cime sont extrêmement raides, et je commence à ressentir les effets de l'altitude : ma tête tourne, je dois ralentir pour ne pas complètement craquer. Je franchis le sommet à 20h15, exactement 15 minutes après Lucas. Quelle bataille. C'est fou de penser que nous roulons à fond depuis hier soir et que l'écart n'a varié que de 15 minutes. Depuis Montastruc, nous n'avons jamais été séparés de plus d'une heure, dans un sens comme dans l'autre. C’est tellement intense.
Au sommet, je prends le temps de m'habiller chaudement. À 2800 mètres, la température est fraîche, et la descente s'annonce interminable — presque 50 kilomètres, dont une bonne partie en faux plat. Mes mains commencent à fatiguer, rendant le freinage particulièrement désagréable. En entamant la descente, je réalise que j'ai poussé trop fort dans la montée. Je suis complètement vidé, les batteries à plat. Comment vais-je parcourir encore 200 km dans cet état?
C'est au cours d'un appel avec Loïc que j'apprends la nouvelle inattendue. Alors que je lui décris mon état d'épuisement total, il m'interrompt pour me dire que Lucas s'est arrêté. La nouvelle me prend complètement au dépourvu. Vers 21h, sans même m'en rendre compte, j'avais dépassé mon adversaire qui s'était arrêté juste après la partie la plus raide de la descente de la Bonette à Saint-Étienne-de-Tinée. Un arrêt à cette heure-ci, probablement pour une sieste, révèle qu'il doit être aussi à bout de forces que moi. Quelle surprise — je me retrouve soudain à nouveau en tête, et cela juste après la Bonette ! Je suppose qu'il ne s'arrêtera pas longtemps, mais ce revirement de situation est complètement inattendu.
Génial, mais je ne suis pas encore tiré d'affaire. Ma lucidité vacille, et j'ai de plus en plus de mal à distinguer le réel de l'imaginaire. Je doute même parfois de participer vraiment à la RAF, qu'il reste 150 km à parcourir, ou que je suis en tête. Ce n'est pas encore critique, mais je sens que je frôle mes limites — mon état ne tiendra pas toute la nuit.
Lucas reprend finalement la route avec 1h15 de retard sur moi. Mais avec mon état qui se dégrade rapidement et Lucas qui vient de se reposer, je ne suis pas du tout rassuré. Rien n'est joué, loin de là. Je crois que Lucas et moi nous sommes complètement grillés dans la Bonette. Il ne reste plus grand-chose ni d'un côté ni de l'autre. Celui qui parviendra à tenir jusqu'au bout l'emportera. Les appels réguliers avec Greg m'aident à conserver un minimum de lucidité, mais mon rythme diminue sérieusement. Mes jambes sont vides, ce qui est particulièrement problématique car les 150 derniers kilomètres sont difficiles, avec encore près de 3000 mètres de dénivelé à grimper.
Je suis forcé de m'arrêter à Villars-sur-Var car mon cerveau commence sérieusement à dérailler. Ma lucidité ne tient qu'à un fil ; je veux absolument éviter de revivre l'épisode de la Race Across France 2024, où j'avais erré pendant une heure dans le village de Mirepoix en pleine nuit — un moment traumatisant que je ne peux pas me permettre de répéter, surtout pas maintenant. Je m'allonge 30 minutes sur le bitume pour tenter de retrouver mes esprits et reposer mes yeux. En repartant, je ne me sens pas vraiment mieux. Il va falloir lutter.
Lucas n'est plus qu'à 35 minutes. L'écart se réduit inexorablement, et je suis presque certain qu'il va me rattraper — je n'avance vraiment plus. Le pire reste à venir : d'abord un col de 18 kilomètres, puis un autre plus court de 5 kilomètres pour atteindre le Col de Bleine avant la descente vers Mandelieu. Dans mon état, ça va me sembler une éternité.
Soudain, je retrouve mon père et Clara, ma copine, qui m’attendent au bord de la route. Ils ont fait tout le trajet depuis la Suisse pour m'accueillir à Mandelieu. Cette rencontre inattendue en pleine nuit me ramène instantanément à la réalité et regonfle mon moral. Dans les heures qui suivent, je parle régulièrement avec Clara au téléphone, ce qui m'aide à rester éveillé. Discuter avec quelqu'un me permet d’éviter les délires et maintenir ma lucidité — c'est concret, tangible, sans place au doute. Je n'avance pas plus vite, mais au moins, je continue d'avancer.
Durant cette ultime ascension du Col de Bleine, je croise énormément d'animaux sauvages, principalement des sangliers. J'en suis assez certain — ce ne sont pas des hallucinations. Comme un idiot, je me mets à crier et à imiter des grognements de sanglier pour les faire fuir. Je sais, ne cherchez pas d'explication logique — il ne reste plus grand-chose de cohérent dans mon esprit à ce stade.
À ma grande surprise, alors qu'il n'avait que 30 minutes de retard, Lucas s'arrête à nouveau dans les premiers virages de la montée. Il doit être complètement épuisé pour prendre cette décision. Je ne sais pas combien de temps il restera immobilisé, mais si je tiens bon et parviens à creuser l'écart, il pourrait capituler en repartant. Cette fois, il ne s'arrête que 15 minutes avant de reprendre la route – ce n'est pas encore fini. Mais 40 minutes plus tard, il s'immobilise à nouveau. Est-ce que cette fois c'est la bonne? Je l'ignore, mais je suis confiant : si j'arrive à tenir jusqu'au bout sans craquer, ça devrait le faire. C'est déjà sa troisième pause, il ne doit vraiment pas être en forme. Il doit aussi savoir qu'en s'arrêtant une troisième fois, ses chances de victoire s'amenuisent considérablement.
Je m'accroche et vers 4h30 du matin, j'atteins enfin le sommet du Col de Bleine. Lucas est encore au pied du col, immobilisé. Il ne me reste que 70 kilomètres jusqu'à l'arrivée — 70 petits kilomètres. Ce n'est pas beaucoup en apparence, mais dans mon état, cela semble insurmontable. Dans la première partie de la descente, je dois m'arrêter tous les 500 mètres pour retrouver mes esprits. En temps normal, je ne roulerais jamais dans cet étât, mais à ce stade, je n'ai qu'un objectif : finir.
Lucas reprend finalement la route vers 6h, 45 kilomètres derrière moi, soit un peu plus de 2 heures d'écart. Je n'arrive pas à me projeter sur la ligne d'arrivée, ça me paraît encore tellement loin. En arrivant au bas de cette longue descente au Tignet, il reste encore 30 kilomètres. On pourrait penser qu'on est presque arrivé, mais il reste encore le Col du Tanneron — court mais terrible, la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Il n'y a que 300-400 mètres de dénivelé au total, mais cela me paraît plus long que la Bonette. Je suis complètement vidé, sans aucune ressource, j'en ai assez.
Je n'arrive pas encore à savourer ma victoire imminente. Car oui, à ce stade, les jeux sont pratiquement faits – c'est incroyable quand j'y pense. Ce n'est qu'en atteignant enfin le sommet du Tanneron que je commence à réaliser que tout est sur le point de se terminer, que je vais gagner, et que je peux presque en profiter. Ce Tanneron est un calvaire, mais la descente vers Mandelieu est magnifique, avec la Méditerranée en toile de fond – une belle façon de clôturer cette aventure hors norme.
Les émotions accumulées durant ces 5 derniers jours remontent enfin à la surface. J'avais tellement envie de décrocher cette victoire, surtout après l'abandon de l'année dernière. Cette semaine a été d'une intensité incroyable, particulièrement cette bataille avec Lucas. Je repense à mon parcours des dernières années et à mon voyage improbable dans ce sport. Quel hasard que je me retrouve à faire du vélo et des courses d'ultra. Si Gaetan ne m'avait jamais proposé de faire la SUCH en duo en 2021, je n'aurais jamais découvert ce sport. Un concours de circonstances complètement dingue. Et voilà, à peine 4 ans après cette découverte, me voilà vainqueur de la RAF. Il y a deux ans encore, je terminais cette même course en 6 jours et 22 heures. Cette année, je suis sur le point d'être près de 33 heures plus rapide. C'est fou ce qu'on peut accomplir en si peu de temps.
Je pense à tous ceux qui m'ont aidé sur ce chemin, aux rencontres précieuses que j'ai vécues, aux paysages magnifiques que j'ai traversés, aux moments d'euphorie comme à ceux de désespoir. Ces courses nous apprennent tellement sur nous-mêmes — nos besoins, nos forces, nos limites. Quelle aventure incroyable !
Je franchis la ligne d'arrivée à 8h43, après 5 jours, 13 heures et 23 minutes de course. C'est fini, j'ai gagné la RAF.
À l'arrivée, je suis accueilli par Arnaud, fondateur de la RAF, son équipe de bénévoles, et surtout par papa et Clara qui ont fait tout le trajet depuis Lausanne. J'aurai besoin de temps pour réaliser et digérer tout ce qui s'est passé cette semaine.
Une chose est certaine : je suis profondément touché par tout le soutien reçu ces derniers jours. C'était incroyable — les messages, les appels, les encouragements au bord de la route, l'accueil chaleureux d'Éloïse sur les bases de vie, ma famille venue me voir sur le parcours, mon père et Clara qui m'accueillent à l'arrivée. Quelle chance j'ai de pouvoir vivre tout ça.
Je n'ai qu'une envie : dormir. Mais avant cela, je vais quand même attendre ce bon vieux Lucas qui semble prendre son temps. Il s'est arrêté dans un Crédit Agricole, probablement pour un café et un petit-déjeuner. Je suis presque jaloux. Il a raison — autant profiter de la fin. Il arrive finalement vers 11h, 2h20 plus tard.
C'est magnifique de le retrouver à l'arrivée après avoir partagé une telle bataille. Nous sommes tous deux à la fois satisfaits et complètement épuisés. Rares sont les courses aussi longues où la compétition reste impitoyable jusqu'au bout comme celle-ci. Cette expérience partagée a forgé un respect mutuel profond entre nous. Notre trêve improvisée pour le petit-déjeuner devant le supermarché restera l'un des moments les plus mémorables de toute la course pour moi.
Maintenant, place au repos. Nous avons loué un Airbnb à La Napoule. De retour au logement, après une douche rapide, je suis prêt à m'effondrer. Mon père repart déjà vers la Suisse avec mon vélo – il a fait tout ce trajet uniquement pour mon arrivée, vraiment chouette. Avec Clara, nous prévoyons de rester quelques jours à Mandelieu avant de rentrer à Lausanne et d'affronter le dur retour à la réalité.
Éloïse et Antoine vont également passer la nuit ici. Antoine devrait arriver en fin de soirée – il est encore en lice pour la 4ème place. Quelle course il est en train de faire. La bataille pour cette « médaille en chocolat » est intense avec 5 coureurs encore en jeu. Nous irons l'accueillir à l'arrivée, ce qui me laisse quelques heures pour un premier coma.
L'après-course est toujours un peu compliqué. Retrouver un rythme normal de sommeil et d'alimentation prend du temps. Je sais que pendant plusieurs semaines, je vais manger sans retenue. Revenir à trois repas quotidiens sera progressif, d'autant que j'ai perdu énormément de poids – je me reconnais à peine. Quant au sommeil, il sera certainement agité les prochaines nuits, avec d'inévitables coups de fatigue en journée.
Après une première grosse sieste salvatrice, je me réveille affamé... Quelques heures plus tard, nous retournons à la ligne d'arrivée pour attendre Antoine. Alexandre est arrivé vers 16h, terminant confortablement 3ème en 5 jours, 20 heures et 26 minutes – sa deuxième médaille de bronze consécutive, ce n'est pas un hasard. Si il n’avait pas manqué son réveil peu avant Montastruc, je suis convaincu qu’il se serait joint à nous pour jouer la gagne jusqu’au bout.
Le podium étant scellé, l'attention se porte désormais sur la bataille acharnée pour le top 5. Mark Arnold, longtemps favori pour la 4ème place, a flanché lors de la dernière journée et s'est fait rattraper par Pascal Le Roux et Joackim Mendler. Antoine, bien que légèrement en retrait, semble revenir en force. Pascal et Joackim arrivent ensemble vers 20h20 – en raison des horaires de départ décalés, Pascal prend la 4ème place et Joackim la 5ème. Cependant, Antoine, parti plus tard, peut encore ravir cette position à Joackim.
Réalisant que la 5ème place est encore à sa portée, Antoine termine à fond, donnant tout ce qu'il lui reste dans la montée du Tanneron. Il arrive finalement vers 20h40, terminant 6ème à moins d'une minute de Joackim – c'est incroyablement serré. Vous imaginez ? Une petite minute d'écart après un peu plus de 6 jours de course ! C'est dingue. Mark et William suivent peu après. Au final, moins d'une heure sépare le 4ème du 8ème, preuve que le niveau s'élève et se resserre. Il fallait vraiment un gros niveau pour jouer le top 10 cette année. Entre la victoire qui s’est jouée dans les dernieres heures de la cours et la bataille pour le top 5 qui s’est prolongee jusqu’a la ligne d’arrivee, il ne fait aucun doute que l’ultra va devenir de plus en plus compétitif et contesté dans les années à venir.
Retrouver Antoine fait vraiment plaisir. Comme tout le monde avant lui, il arrive complètement à bout à la ligne d'arrivée. Bien que nous ne nous soyons pas croisés pendant la course, nous partageons ce sentiment d'aventure commune, renforcé par nos trois jours passés ensemble à Lanvallay avant le départ. Après les retrouvailles et quelques ragots, direction l'appartement pour la première vraie nuit après la course. On se fait livrer des pizzas et file au lit. Pas besoin de mettre un réveil. Oh oui. C'est fini.
Cette nuit-là, et toutes les suivantes d'ailleurs, mon sommeil est extrêmement agité. Il paraît même que je pédalais dans mon sommeil, pensant que j'étais encore en train de faire la course avec Lucas. Je me réveille souvent en sueur, entre éveil et sommeil, complètement déboussolé et avec le sentiment d'être encore en course. Pauvre Clara… Malgré tout, je me repose pas trop mal.
En me réveillant le matin, Antoine est déjà parti faire des courses pour le petit déjeuner, quel seigneur celui-là, il ne s'arrête jamais. Après un gros repas au restaurant à midi, Antoine et Éloïse nous quittent dans l'après-midi pour rejoindre leur appartement. Je passe la journée à me reposer.
Fabien, le troisième de la bande, devrait arriver ce soir. Il se bat encore pour une place dans le top 20, et ses chances sont bonnes. Le soir, nous dînons au restaurant avec Régis, Joackim et Florian — un moment de partage vraiment agréable. Après le repas, nous prenons une pizza et une bière à emporter, puis allons attendre Fabien qui a fait un gros sprint final depuis Dignes-les-Bains. Il arrive enfin et termine à la 20ème place, une belle performance de plus. La bande est à nouveau réunie. Nous restons un moment à l'arrivée avant de rentrer.
Les jours qui suivent sont consacrés au pur repos : dodo, restau et plage. Rien de tel. L'événement prend officiellement fin avec la cérémonie de remise des prix. Mais avant cela, il faut d'abord célébrer l'arrivée de Loïc ! Loïc, qui coach de nombreux participants sur toutes les distances, nous donne rendez-vous au sommet du Tanneron pour boire une bière au calme, loin de la fourmilière qu'est devenue l'arrivée qui grouille de participants et d'accompagnants. Nous sommes presque une quinzaine à nous retrouver pour l'occasion, c'est un beau moment de partage.
Parmi ce groupe, il y a Olivier et Stéphane. Stéphane est aveugle, et ensemble, ils ont relevé un défi extraordinaire : parcourir 1000 km en tandem. Ce qu'ils ont accompli transcende le sport — c'est un véritable hymne au courage humain. Imaginez : traverser des cols de montagne, affronter des descentes vertigineuses, endurer l'épuisement... tout cela en parfaite symbiose, l'un étant les yeux de l'autre. En les voyant arriver, les larmes aux yeux, leurs visages marqués par l'effort mais illuminés de fierté, un silence respectueux s'est installé parmi nous. Dans ce moment de pure émotion, nous avons tous compris que nous étions témoins de quelque chose qui dépasse largement le cadre sportif — une leçon bouleversante sur la confiance, la persévérance et les possibilités infinies de la détermination humaine.
Suite à ce beau moment, nous redescendons à Mandelieu pour la cérémonie de remise des prix. C'est un magnifique dernier moment de partage sur le podium avec Lucas et Alexandre. Vous voulez savoir le plus drôle ? Juste avant la cérémonie, Lucas est vite allé faire 5 heures de vélo. Ce gars est vraiment infatigable, c'est fou.
Après la cérémonie, nous faisons un petit saut à la fête de la musique avec les copains, mais la fatigue nous rattrape vite — retour au lit. Nous restons encore deux jours à Mandelieu avec Clara avant de prendre le train mardi matin, exactement une semaine après mon arrivée. C'est le moment du retour à la vie quotidienne. Ce qui est certain, c'est que c'était encore une fois une belle aventure transformative. Dans quelques jours, la complexité habituelle et le superflu tenteront de reprendre leur place, mais je garderai avec moi cette clarté que seul l'ultra-endurance peut offrir — cette vérité simple que nos limites sont souvent bien plus lointaines que nous l'imaginons.
Voilà, cette RAF 2025, c'est fini.
Merci
Je tiens à vous remercier chaleureusement pour le soutien exceptionnel dont j'ai bénéficié tout au long de cette aventure.
Merci à ma famille, qui m'encouragez sans cesse dans ce sport un peu fou. À Antoine et Fabien, mes fidèles compagnons de route, qui rendez l'expérience de la Race Across si spéciale. À Clara et Papa, pour votre présence réconfortante à l'arrivée. À Éloïse, pour ton accueil bienveillant sur chaque base de vie.
Un immense merci à Arnaud pour l'organisation de cet événement fabuleux qui permet à des milliers de passionnés de se dépasser dans un cadre sain et sécurisé. Merci également à toute l'équipe de staff et aux bénévoles — vos sourires et votre soutien ont été précieux dans les moments difficiles, du départ à l'arrivée, de jour comme de nuit.
Merci à Loïc, avec qui l'aventure a commencé en novembre 2023. Je ne soupçonnais pas une telle progression en si peu de temps, ni un tel soutien jour et nuit. Notre relation va au-delà de celle d'un coach et son athlète — j'ai vraiment de la chance de t'avoir à mes côtés pour m’accompagner dans cette aventure.
Merci à Greg présent pour me soutenir et m'aider avec la logistique du début à la fin. Ton implication a été exceptionnelle et au-delà de toutes attentes.
Merci également à tous ceux venus m'encourager sur le parcours et à tous ceux qui m'ont envoyé des messages, à toute heure. Votre présence, même virtuelle, m'a porté jusqu'à la ligne d'arrivée.
Sans vous tous, rien n'aurait été possible. Du fond du cœur, merci. 🫶
Analyse de performance
Avec un dénivelé réel de 37'807m (18% supérieur aux 32'000m annoncés), j'ai maintenu une vitesse moyenne en déplacement de 24,0 km/h, dépassant légèrement mes objectifs initiaux de 23,8 km/h. L'écart de 3h51 par rapport à mon planning s'explique principalement par une gestion des arrêts différente : j'ai dormi moins que prévu (9h contre 12h planifiées) mais avec un temps d'arrêt total plus important (24h37 contre 20h16 prévus).
L'incident de Clermont a constitué un point de bascule critique. Avant cet arrêt, je n'avais accumulé qu'une heure de retard sur mon planning. L'arrêt prolongé de 3h à Clermont, avec un sommeil presque inexistant, a déclenché une réaction en chaîne : multiplication des pauses, réduction de la vitesse moyenne et nécessité d'écourter ma journée (arrêt à 21h). Cette journée écourtée a entraîné une dernière étape démesurée de 580km, bien au-delà de l'optimal. Dans une course où nous évoluons constamment à la limite de nos capacités, cette unique erreur stratégique m'a probablement coûté en tout cas 2-3 heures au total.
Malgré cet incident, ma planification et ma stratégie globales ont prouvé leur pertinence. Jusqu'à Clermont, l'exécution était excellente, avec un équilibre quasi optimal entre effort physique et récupération efficace sur un temps d'arrêt inférieur aux concurrents principaux. Cette approche m'a permis de maintenir un niveau élevé de lucidité et de concentration tout au long de cette portion du parcours.
Comparaison | Prévision | Réalité |
Distance | 2607 km | 2616 |
Dénivelé Positif | 32’000 m | 37’807 m |
Durée Totale | 129h46 | 133h37 |
Temps de déplacement | 109h30 | 109h00 |
Temps d’arrêt total | 20h16 | 24h37 |
Temps de sommeil total | 12h00 | 9h00 |
Ratio d’arrêt | 15.6% | 18.42% |
Ratio Sommeil | 9.3% | 6.74% |
Vitesse moyenne en déplacement | 23.8 km/h | 24.0 km/h |
Vitesse moyenne | 20.07 km/h | 19.58 km/h |
Distance moyenne journalière | 481.73 km | 469.84 km/h |
Temps journalier moyen en déplacement | 20h16 | 19h35 |
Temps journalier moyen d’arrêt | 3h44 | 4h25 |
Temps journalier moyen de sommeil | 2h21 | 1h38 |
Cette édition 2025 m'a apporté des enseignements précieux, particulièrement concernant le sommeil et l'alimentation. J'ai constaté les bénéfices considérables d'un rythme de sommeil régulier. Jusqu'à Clermont, ma condition physique et mentale était globalement bonne – lucide et performante – grâce à deux nuits "régulières" bien optimisées. J'ai respecté des horaires de coucher constants (entre 1h et 1h30 du matin), des durées de sommeil identiques (environ 3h), complétées par un repas riche en protéines avant chaque période de repos (idéalement un gros morceau de viande). Cette approche systématique incluait également des soins corporels rigoureux. Ces rituels m'ont permis de repartir chaque matin dans une forme optimale, une nouveauté dans mon expérience d'ultra-endurance.
L'alignement avec notre horloge biologique semble être un facteur déterminant de performance. Sans l'erreur de Clermont, j'aurais probablement maintenu un état physiologique acceptable jusqu'à l'arrivée. Je pense que cette optimisation méticuleuse et cette anticipation représentent l'avantage décisif que j'ai pu développer face à Lucas et Alexandre. La voie est tracée : poursuivre cette approche tout en explorant des optimisations supplémentaires de récupération et de nutrition. Considérant ma progression depuis seulement deux ans d'entraînement structuré, je reste convaincu qu'une marge d'amélioration substantielle existe encore à ce niveau aussi.
Quatre principes fondamentaux émergent de cette expérience :
- La régularité du sommeil constitue un avantage compétitif majeur. Contrairement à ma stratégie de 2024 qui alternait des nuits longues et courtes à des horaires variables, l'adoption d'horaires de repos constants et de durées similaires a considérablement amélioré ma récupération.
- L'organisation méthodique se traduit directement en gain de temps précieux sur l'ensemble du parcours.
- La consommation d'un repas complet riche en protéines avant chaque période de sommeil optimise significativement la récupération musculaire et cognitive.
- Dormir sur les bases de vie présente un caractère aléatoire en termes de qualité de récupération – une variable à considérer attentivement dans la planification stratégique.
Et par rapport aux autres?
Une analyse comparative des performances révèle des différences stratégiques significatives entre les trois premiers concurrents. Ma vitesse moyenne en déplacement (24,0 km/h) était inférieure à celle de Lucas (25,0 km/h, soit 4% plus rapide), mais supérieure à celle d'Alexandre (23,9 km/h). L'élément déterminant de ma victoire réside dans la gestion optimisée des temps d'arrêt : seulement 24h37 d'arrêt total contre 31h32 pour Lucas et 31h28 pour Alexandre.
Cette différence se reflète dans les ratios d'arrêt (18,42% pour moi contre 23,21% pour Lucas et 22,37% pour Alexandre) et explique pourquoi, malgré une vitesse de déplacement inférieure, ma vitesse moyenne globale (19,58 km/h) surpassait celle de mes concurrents (19,18 km/h pour Lucas et 18,58 km/h pour Alexandre).
L'analyse de ces données comparatives nécessite une approche nuancée, tenant compte du contexte compétitif. Les chiffres bruts révèlent des tendances significatives, mais ils s'inscrivent dans une dynamique de course où chaque décision influence l'ensemble de la stratégie. L'incident de sommeil d'Alexandre près de Montastruc - qui n'était pas délibéré - illustre comment un événement imprévu peut modifier substantiellement la trajectoire d'un concurrent. Cette circonstance l'a éloigné de Lucas et moi, altérant potentiellement ses décisions ultérieures concernant ses temps d'arrêt et sa gestion.
Ce qui ressort clairement de cette analyse, c'est que la marge séparant nos performances respectives est vraiment étroite. Un léger changement dans les conditions ou dans l'exécution d'une stratégie aurait pu transformer radicalement le classement final. Cette compétition serrée a créé une émulation collective qui nous a tous poussés plus loin - une expérience de fou que j'ai eu la chance de partager avec deux copains.
Comparaison | Jonas | Lucas | Alexandre |
Durée Totale | 133h37 | 135h50 | 140h39 |
Temps de déplacement | 109h00 | 104h18 | 109h11 |
Temps d’arrêt total | 24h37 | 31h32 | 31h28 |
Temps de sommeil total | 9h00 | 13h00* | 14h00* |
Ratio d’arrêt | 18.42% | 23.21% | 22.37% |
Ratio Sommeil | 6.74% | 9.57%* | 9.95%* |
Vitesse moyenne en déplacement | 24.0 km/h | 25.0 km/h | 23.9 km/h |
Vitesse moyenne | 19.58 km/h | 19.18 km/h | 18.58 km/h |
Distance moyenne journalière | 469.84 km | 460.44 km | 446.01 km |
Temps journalier moyen en déplacement | 19h35 | 18h25 | 18h37 |
Temps journalier moyen d’arrêt | 4h25 | 5h35 | 5h23 |
Temps journalier moyen de sommeil | 1h38 | 2h30* | 2h35* |
La RAF en moins de 5 jours, c’est possible?
L'objectif de parcourir 500 km par jour pendant cinq jours consécutifs (2500 km en 120 heures) représente à mes yeux la prochaine frontière significative à franchir sur la Race Across France. En observant les performances de 2025, cette ambition apparaît désormais comme un défi réaliste plutôt qu'utopique. Notre progression vers ce jalon est déjà tangible : après quatre jours de course, nous avions avec Lucas atteint 1990 km (96 heures), avant que le rythme ne décélère naturellement en phase finale pour établir une moyenne de 470 km quotidiens à l'arrivée.
Cette barre symbolique des 500 km/jour constitue la prochaine évolution logique dans cette discipline encore relativement jeune, où les limites physiologiques, psychologiques et stratégiques continuent d'être redéfinies par une approche de plus en plus raffinée.
Concrètement, il faudrait maintenir 20h de vélo quotidien à une moyenne de 25 km/h pendant 5 jours. Par rapport à ma performance cette année, cela impliquerait d'augmenter ma vitesse de 4% (1 km/h) tout en roulant 25 minutes de plus par jour en moyenne. Ce n'est pas complètement fou ni irréaliste. Mais cela représente quand même encore un progrès considérable. C'est certain, je voudrai refaire cette course pour tenter le coup, probablement pas l'année prochaine, mais l'aventure Race Across France n'est pas encore terminée pour moi. Je suis trop attaché à cet événement pour me dire que je n'y reviendrai pas !
Et la suite alors?
Après cette victoire à la RAF, je me retrouve un peu face à un dilemme pour la suite. Mon ambition initiale d'enchaîner la RAF et la Transcontinental Race cette même saison s'est révélée un peu trop exigeante. Cette épreuve m'a demandé plus de ressources physiques et mentales que prévu, et je sens que la récupération est lente. Encore aujourd'hui, un mois après la RAF, je ne m'en suis pas complètement remis. À l'approche de la TCR, force est de constater que je ne pourrais pas aborder cette aventure XXL avec l'état de préparation qu'elle mérite. Je souffre encore trop de la perte de sensibilité de mes mains, et une fatigue profonde persiste. Par ailleurs, ayant entamé un nouveau poste professionnel en mai, il est important que je m'y investisse pleinement pour bien commencer.
J'ai donc pris la décision de reporter ma participation à la TCR. Je m'orienterai plutôt, en guise de repli, vers la Race Across Switzerland (1000 km), un format plus court, en Suisse et qui me laisse encore un mois pour me préparer. La Transcontinental Race devient ainsi mon objectif majeur pour 2026 – je souhaite l'aborder dans des conditions optimales, sans compromis.
Pour les mois à venir, je vais terminer cette saison sereinement, consolider ma position professionnelle et structurer davantage mon projet d'ultra-endurance. L'année prochaine s'annonce comme une nouvelle étape dans mon parcours, avec l'ambition de franchir encore un palier supplémentaire. La quête continue !